Atelier 26

Récits sur la guerre : Une comparaison Irlande, Algérie, Afrique du Sud

Responsables scientifiques :
Lætitia Bucaille (MCF- Département de Sociologie- Bordeaux 2)
laetibuc@free.fr

Elise Féron (MCF — Institut d’Etudes Politiques de Lille) e.feron@free.fr

 

Le conflit d’Irlande du Nord, la guerre d’Algérie (1954-1962), les affrontements meurtriers qui ont secoué l’Afrique du Sud pendant plusieurs décennies revêtent tous des dimensions de guerre civile, inter-communautaire où des nationalismes ou des conceptions de la nation antagonistes s’affrontent. La proximité de ces trois conflits réside peut-être surtout dans le rapport colonial entre les acteurs politiques en compétition violente et entre les sociétés impliquées dans le conflit —soit en tant que combattants, soit en tant que population civile touchée par les heurts. D’autres points communs sont aisément repérables, comme l’importance de l’occupation du territoire, des mythes et des symboles, des déplacements de population, des violations des droits de l’homme et bien sûr leur caractère militarisé.

Les sorties de conflit renvoient à des combinaisons variées. En Algérie et en Afrique du Sud, la victoire politique des mouvements de libération aboutit à des changements institutionnels profonds, en l’occurrence la naissance de l’Algérie indépendante et la formation d’un régime démocratique en Afrique du Sud alors qu’en Irlande du Nord, si le statut institutionnel de la province a bien été modifié, les gains et les pertes des protagonistes sont ambivalents. En Afrique du Sud et en Irlande du Nord les communautés qui se sont affrontées sont invitées et contraintes à vivre ensemble alors qu’en Algérie, le départ des Pieds-noirs sonne le glas de la séparation entre " Musulmans " et " Européens ". Ainsi, selon les cas, les ex-ennemis doivent se réconcilier, parvenir à cohabiter, ou à se dissocier pour mieux se détester ou davantage se désirer.

Le choix des termes de la comparaison relevant de trois aires géographiques différentes et de temporalités décalées peut apparaître audacieux et porteur de complications méthodologiques. L’éclatement de ces études de cas est assumé dans la mesure où notre approche s’applique à désenclaver les aires culturelles et à mobiliser ici ou dans un ailleurs exotique les mêmes outils d’analyse de la sociologie politique. Il est d’ailleurs intéressant de remarquer que les protagonistes des conflits ont pu se référer aux expériences des autres. Pour les membres de l’ANC, la lutte victorieuse du FLN contre un adversaire militaire bien plus puissant a constitué une raison d’espérer. Parmi certains Algériens et Pieds-noirs, le modèle de réconciliation sud-africain et sa société multiraciale alimentent les regrets sur leur propre expérience. En Irlande du Nord enfin, beaucoup d’unionistes s’identifient au destin des Afrikaners, tandis que l’ANC constitue une référence pour les nationalistes républicains.

Néanmoins, l’objet de cet atelier n’est pas de revenir sur les dynamiques de ces conflits, ni de mesurer l’écart qui les sépare, ou les similitudes qui les rapprochent ; il n’est pas non plus d’étudier les modes de résolution de ceux-ci ou de procéder à une évaluation comparée des trajectoires post-conflictuelles. L’objectif est d’interroger les récits produits sur le conflit au sein des sociétés concernées. Ex-combattants membres d’armée régulière ou de guérillas engagés dans les affrontements, générations de militants politiques formés pendant les années de guerre, anciens prisonniers, exilés fuyant la violence ou l’ordre politique imposé par les vainqueurs, adhérents d’associations pacifistes constituent autant de groupes susceptibles de produire un discours sur le conflit, sur la manière dont ils l’ont vécu et la façon dont ils entendent le transmettre. Par cette démarche, on ne cherche pas à comprendre ce qui s'est passé pendant le conflit, mais on s’intéresse à la manière dont les protagonistes narrent leur guerre, se mettent en scène durant le conflit et articulent ce discours à l’analyse sur leur propre trajectoire en temps de paix. Notre réflexion accorde une place centrale au récit, moins pour ce qu’il livre comme information ou comme témoignage que comme processus de subjectivation et comme production d’une mémoire particulière, voire comme un outil de revendication .

Le but de cet atelier n’est pas de mettre en parallèle tous les groupes identifiables présents dans chacun des conflits mais plutôt d’offrir un cadre qui permette au chercheur de se décentrer de son objet en lui offrant un grille d’analyse plus large. Les contributions de cet atelier doivent chercher à éclairer le sens des récits et des recompositions identitaires se manifestant dans les sociétés post-conflictuelles que nous avons évoquées en mobilisant de préférence l’outil méthodologique de la comparaison. Les études monographiques, dans la mesure où elles se fondent sur une recherche fouillée et généralisable d’un des aspects évoqués, pourront également être acceptées.

 

War Narratives: A comparison between Ireland, Algeria and South Africa

The Northern Ireland conflict, the Algerian war (1954-1962), deadly clashes in South Africa (1950-1990) can all be defined to a certain extent as civil wars during which different communities and antagonist nationalisms confronted. In the three situations, the colonial situation affects political actors in competition and societies as a whole. Other similarities can be pointed at, such as the stong relation with the land, the importance of myths and symbols, population’s transfer, human rights violations and the military aspect of the conflicts.

However, conflict resolution patterns differ: in Algeria and South Africa, the political victory of the liberation movements led to complete institutional changes: an independent Algeria and a democratic South Africa. In Northern Ireland the status of the province is a new one, however gains and losses of the protagonists are ambivalent. In South Africa and in Northern Ireland the communities who fought are supposed to live together whereas the departure of the Pieds-Noirs from Algeria separated "Muslims" and "Europeans".

The comparison between these three cases is challenging. We favour the opening up of geographic and cultural areas and the use of the same conceptual tools over the range of case studies. Some protagonists of these conflicts referred to the experiences of the others. For the ANC members, the victorious struggle of the FLN against the powerful French army was a reason to hope. The South African model of reconciliation and its multicultural society give the feeling to some Algerians and Pieds-noirs that they missed the opportunity of living together. In Northern Ireland, many Unionists identify with the fate of the Afrikaners, whereas the ANC is a model for the Republican Nationalists.

The aim of this workshop is not to compare the conflicts or the way they were solved. The aim is to explore the narratives about the conflict among the relevant societies. Ex-combatants from a regular army or from a guerilla, political activists formed during the war, ex-prisoners, exiles fleeing from violence or the new political order, pacifists, all these actors produce an analysis on their experience, the way they see the conflict and pass the story on to future generations. Narratives express the subjectivity of the protagonists and play a role in the memories shaping and in the emergence of political claims.