Atelier 32

Nouveaux courants en pensée politique : le libertarisme de gauche

Responsables scientifiques :
Speranta Dumitru (Chaire Hoover, UCL)
Speranta.dumitru@free.fr
Raul Magni Berton (IEP Bordeaux) r.magniberton@sciencespobordeaux.fr
Roberto Merrill (EHESS Paris) nrbmerrill@gmail.com

 

Le libertarisme de gauche est une théorie politique normative qui connaît depuis peu un réel regain d’intérêt. Elle formule ses principes avec économie, en termes de droits de propriété. De ce point de vue, elle s’aligne sur le libertarisme classique, en défendant un droit absolu de chacun au contrôle et à la pleine propriété de sa personne. Mais elle s'en sépare fermement, lorsqu'il s'agit de spécifier les droits de propriété sur le monde. Le partage des ressources ne saurait être gouverné autrement, selon le libertarisme de gauche, que par un principe égalitaire. Quelle que soit le type de cette égalité, tous les libertariens de gauche sont d'accord pour soutenir que personne n'a le droit de s'approprier une part plus grande des ressources du monde que celle des autres.

L’apport de cette théorie politique est triple. Elle réussit d’abord à s’emparer des outils conceptuels habituellement utilisés par la droite (la propriété, la priorité aux droits individuels) pour les mettre au service des préoccupations égalitaristes. C'est d’ailleurs l’un des tenants du marxisme analytique, le théoricien d'Oxford Gerald Cohen qui a ouvert cette voie. Cohen (1995) a montré que lorsque les marxistes soutiennent que les capitalistes "volent" le temps de travail des ouvriers, ils affirment implicitement que ce temps de travail "appartient" légitimement aux ouvriers. Toute la théorie de l'exploitation marxiste se fonde sur le respect de la propriété de soi-même et de sa force de travail, considéré comme une exigence de justice sociale.

La deuxième réussite du libertarisme de gauche est d’arriver à des résultats plus égalitaristes que ne le font d’autres courants de pensée de gauche. Sa robustesse tient à ce que ce courant de pensée se refuse de justifier un quelconque devoir d'assistance sur la base de la solidarité, de l'humanisme ou de l'égalité républicaine. En revanche, il fait de chaque individu un propriétaire légitime, qui a droit à une part égale des ressources du monde et peut donc revendiquer son dû sans devoir marchander.

Troisièmement, le libertarisme de gauche puise dans une tradition de pensée politique — représentée dans le monde francophone par Hyppolite Colins, François Huet ou Léon Walras — pour formuler des réponses à des problèmes contemporains. Les inégalités Nord-sud, l’immigration ou encore des questions de bioéthique posées par les nouvelles technologies sont regardées dans une perspective différente de celle qui prédomine sur le marché des idées politiques.

Le présent regain d’intérêt pour le libertarisme de gauche ne caractérise pas uniquement les débats anglo-saxons. Ainsi, certains théoriciens du libertarisme de gauche, comme Philippe Van Parijs (1995) ou Peter Vallentyne (2002), avaient déjà publié en français. Plus récemment, un numéro spécial des Raisons politiques (n°23, 2006) a ouvert le débat sur des aspects plus spécifiques de cette théorie. Parallèlement, un dossier de la revue Raison publique ("Le socialisme a-t-il un avenir ? " mai 2006) soulève des questions similaires. Enfin, les travaux historiques ou théoriques sur le socialisme libéral se multiplient et restent on ne peut plus actuels.  

L’actualité du libertarisme de gauche fournit donc une excellente occasion pour en approfondir les fondements théoriques et pour développer des critères d’évaluation des politiques concrètes.

Parmi les questions théoriques qui pourraient être traitées dans le cadre de cet atelier :

Les rapports du libertarisme de gauche  avec d’autres courants de pensée politique (socialisme, égalitarisme libéral, républicanisme)
Les fondements historiques que le libertarisme de gauche peut légitimement revendiquer
La cohérence du libertarisme de gauche : peut-il être à la fois libertariste et égalitaire ? Quelles contraintes pose-t-il au consentement individuel pour qu’il soit légitime ?
Seront également bienvenus des travaux appliqués :
Comment penser les réquisits de la justice globale, quelle serait par exemple les politiques justes en matière d’immigration ou de redistribution de ressources ?
Comment peut-on mettre en place une allocation universelle, que ce soit à l’échelle globale ou nationale ?
Comment traiter le handicap et/ou la santé dans le cadre du libertarisme de gauche ?
Quelles seraient les politiques du genre défendues par le libertarisme de gauche ?
Quelle serait la place de l’éducation dans une société fondée sur les principes du libertarisme de gauche ?

 

Left-Libertarianism: The Revival of Normative Political Theory

Left-libertarianism is nowadays one of the most fertile fields in normative political theory. Its success resides in the ability to combine the right wing concerns for the individual (property) rights with the leftist concerns for plainly egalitarian ideals. Roughly, left-libertarianism is committed to two principles, elegantly stated in terms of property rights. First, each person has a robust right to self-ownership (a right to fully control one’s own body, mind and life choices, without any interference of political authority). Second, each individual should be originally endowed with an equal share of natural and other worldly resources. As a result, left-libertarianism situates itself much more on the left than other theories of justice (based for instance on solidarity, humanism or republican equality), while remaining profoundly libertarian.

Historically, left-libertarians draw on a tradition originated in the 17th century political theory and whose best representatives in the French-speaking world are the 18th thinkers such as Hyppolite Colins, François Huet or Léon Walras. Contemporary proponents of left-libertarianism are Philippe van Parijs (Catholic University of Louvain), Peter Vallentyne (University of Missouri), Hillel Steiner (Manchester University) and Michael Otsuka (University College London). Some of their writings have been recently published in French.

The aim of this panel is twofold. The first aim is to deepen the analysis of left-libertarian theoretical foundations. Are they coherent and what relationships do they nourish with other political theories such as liberal socialism, liberal egalitarianism, republicanism, or thin ethics? The second aim is to propose and/or evaluate concrete policies from a left-libertarian perspective. Papers on the following questions are particularly welcome: how to conceive global justice requirements, how a left-libertarian immigration policy looks like, how to deal with health inequalities and disability, could the universal basic income be the right response to actual inequalities ?