Atelier 7

Religion et politique en démocratie : comment la laïcité résiste à "l'esprit de religion"

Responsables scientifiques :
Camille Froidevaux-Metterie (Université Paris II Panthéon-Assas - Intitut d'Etudes Politiques de Paris)
cfroidevaux.metterie@free.fr
Ariane Zambiras (Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales - Institut d'Etudes Politiques de Toulouse) ariane.zambiras@sciencespo-toulouse.fr

 

Les débats récents relatifs à la place de l'islam en contexte laïque ou à l'engagement public d'un certain protestantisme américain montrent assez que le lien entre politique et religion continue de faire problème dans les démocraties occidentales. Or ce lien n'a pas toujours reçu l'attention scientifique qu'il méritait de la part des politistes. Dans les années 70, le succès de la thèse de la sécularisation a relégué le questionnement dans le champ de la seule sociologie des religions. Puisque le christianisme avait définitivement perdu sa fonction de structuration de l'ordre social et que le phénomène religieux se cantonnait désormais dans la sphère privée, la religion ne devait pas être considérée comme un objet de la science politique.

Cette position a cependant évolué, à la faveur notamment de l'explosion d'un islam radical, de l'apparition d'une droite explicitement religieuse aux Etats-Unis ou encore de la renaissance sociale des religions dans les pays de l'ex-bloc soviétique. Du fait de la nature même de ces mouvements, tous caractérisés par l'ambition de faire se tenir ensemble les ordres temporel et spirituel, l'analyse s'est focalisée sur la menace qu'ils représentaient pour la laïcité. Or, à trop stigmatiser la dérive fondamentaliste des confessions chrétiennes et musulmane dans le cadre occidental, la réflexion a occulté une partie de la problématique, à savoir l'exceptionnelle capacité de résistance de l'esprit de laïcité dans nos sociétés. Par cette formule, nous entendons la combinaison de deux principes, liberté religieuse et séparation de l'Eglise et de l'Etat, assortie du dispositif institutionnel destiné à en assurer la pérennité. Intimement associé au fonctionnement des régimes démocratiques, l'esprit de laïcité doit régulièrement affronter l'esprit de religion, que celui-ci se manifeste de façon radicale, par la volonté de subordonner la sphère séculière aux préceptes spirituels, ou qu'il s'exprime plus indirectement, par le déploiement de thématiques proprement religieuses dans l'espace public.

L'atelier a pour ambition d'explorer la nature du lien entre politique et religion en démocratie au regard de cette dialectique qui met en vis-à-vis l'ambition de visibilité publique de certaines confessions et l'éventail des réponses que la laïcité leur oppose. Nous entendons proposer trois éclairages qui correspondent aux trois principaux débats sur le thème de la résistance de la laïcité face aux visées de l'esprit de religion.

Un premier éclairage portera sur le cas américain. La présence d'un protestantisme politiquement actif est bien connue; ce qui l'est moins, c'est la réalité de son impact sur la vie publique. A rebours des préjugés qui font des Etats-Unis une démocratie quasi théocratique, Camille Froidevaux-Metterie retracera l'histoire des combats manqués des protestants radicaux pour faire traduire leurs aspirations dans le droit; elle s'attachera à présenter leur offensive actuelle comme une énième réactivation d'une tradition présente depuis les origines de la nation. Sur la base d'une enquête de terrain qu'elle a conduite dans trois églises conservatrices, Ariane Zambiras montrera que l'influence de l'appartenance religieuse dans le positionnement politique des protestants conservateurs est moins à comprendre en termes de causalité qu'en termes d'imaginaire ou de répertoire culturel.

Un second éclairage, un peu décalé, sera dirigé vers la Russie. Si celle-ci ne peut à l'évidence pas être qualifiée de démocratie, nous nous situons cependant dans le cadre du processus de démocratisation caractérisant la plupart des pays anciennement soviétiques, un cadre qui nous offre l'occasion d'observer les interactions qui se nouent entre la religion et un régime politique en phase d'enracinement. Kathy Rousselet examinera comment l'Eglise orthodoxe en est venue à occuper une place de plus en plus importante dans les rouages institutionnels russes, sa renaissance sur fond de quête identitaire et nationale étant allée de pair avec une définition finalement restrictive de la laïcité.

L'atelier s'enrichira de la participation de spécialistes de l'islam, tout particulièrement considéré dans le cadre français. Nous espérons ainsi affiner la palette des possibles quant à la relation entre politique et religion dans le contexte laïque. Dans le cas de la France, nous avons l'expression la plus solide de l'esprit de laïcité, soit un système verrouillé interdisant toute manifestation publique de religiosité. Dans le cas américain, l'esprit de laïcité se caractérise par une certaine souplesse qui autorise la présence de l'esprit de religion sur la scène publique tout en empêchant la traduction juridique de valeurs religieusement fondées. Enfin, le cas russe nous montre que la laïcité s'avère fragile quand la religion est mobilisée au service de la construction nationale et de la consolidation du pouvoir.

 

Religion and Politics in a Democratic Context:
How does laicity resist to "the spirit of religion"

Recent debates about Islam in secular contexts or about the public visibility of fundamentalist Christians in the United States remind us of the problematic tension between politics and religion in Western democracies. The secularization theory, assuming that religion had lost its structuring capacity of the social order and had become essentially privatized, has helped to shift the study of this tension away from political science. However, the emergence of a radical Islam, the greater visibility of the Christian Right in the United States, and the social rebirth of religion in the countries of the former Soviet Union have triggered a renewed interest in religion as a legitimate object for political scientists.

These movements have mostly been studied through the lens of the threat they represent to the secular organization of democratic states. This focus has caused us to neglect the exceptional capacity of resistance of the spirit of laicity, which combines two principles: freedom of religion and the separation of church and state, as well as the legal apparatus to uphold them.

Our workshop aims to chart the ways in which laicity resists to the spirit of religion. We will explore the nature of the link between politics and religion in democratic contexts in light of the dialectical movement between the ambition of some religions to gain public visibility and the range of responses deployed by secular states.

The first focus will be on the American case. Camille Froidevaux-Metterie will trace the history of the battles waged by radical Protestants and their failures to transcribe their aspirations legally. Drawing on ethnographic observations, Ariane Zambiras will question the causality relation often assumed between religious practice and political beliefs.

The second focus will throw light on the Russian case. Kathy Rousselet will examine the role played by the Orthodox Church in the wheels of the Russian state-building process, showing a restrictive definition of laicity.

The third focus will consider Islam in secular settings, particularly in France and other European countries.

We are thereby hoping to dovetail with the range of possible configurations between politics and religion in a secular context. In the case of France, we have the more solid expression of the spirit of laicity, i.e. a locked-in system which forbids any public display of religion. In the American case, the spirit of laicity is characterized by some flexibility which authorizes the presence of the spirit of religion in the public sphere. Finally, with the Russian case, we see that laicity can be fragile when religion is mobilized for the purpose of nation building and power consolidation.