Discours d'ouverture du 9ème congrès de l’Association Française de Science Politique
par Christian Merlin
Recteur de l’Académie de Toulouse
Chancelier des Universités

(5 septembre 2007)

 

En tant que Recteur de l’académie de Toulouse, Chancelier des Universités, je suis particulièrement fier et heureux que l’Association Française de Science Politique ait choisi Toulouse pour y organiser, en partenariat avec l’IEP de Toulouse, son 9ème Congrès. C’est avec beaucoup de plaisir que je souhaite la bienvenue à Toulouse à tous les congressistes, venus de toute la France, représentants et acteurs de la communauté scientifique en science politique. Je souhaite en particulier la bienvenue aux congressistes venus de pays étrangers. La dimension internationale du congrès, qui en est un des points forts, s’illustre cette année de façon manifeste par une présence, celle de l’Association américaine de science politique : ceci ne peut que donner un relief plus accusé encore à ses travaux et enrichir ses débats, notamment sur les aspects méthodologiques de la science politique.

Je voudrais également me féliciter de la présence de représentants de nombreuses disciplines en dehors de la science politique mais qui y contribuent : juristes, historiens, géographes, sociologues, anthropologues, philosophes. La science politique, comme le rappelait Michael Brintnall, directeur exécutif de l’American Political Science Association, dans le rapport annuel 2005-2006 de cette association, n’est-elle pas " la discipline interdisciplinaire par excellence " ? Ne convient-il pas de se référer au message de René Rémond, à qui nous rendrons aujourd’hui l’hommage empreint d’admiration et de reconnaissance qui lui est dû, pour qui la politique ne pouvait pas être envisagée comme une superstructure, mais comme le niveau le plus englobant des sociétés et le point de confluence des autres sphères ?

Ce congrès est une reconnaissance du rôle de Toulouse, deuxième ville universitaire française, où l’activité de recherche est intense, de notoriété souvent mondiale, dans les domaines scientifiques les plus variés, représentatifs de l’ensemble des disciplines scientifiques, incluant, sans hésitation, les sciences sociales et les sciences humaines. C’est aussi une belle reconnaissance pour les institutions et les enseignants-chercheurs qui portent la science politique à Toulouse : l’IEP de Toulouse, l’Université de Sciences Sociales de Toulouse, à laquelle est rattachée l’IEP, dans un dualisme institutionnel que les Français connaissent bien, ainsi que les laboratoires qui structurent cette recherche et en portent les projets.

Chers collègues, chers amis, je ne vous proposerai pas une contribution aux thèmes de ce colloque : mon rôle institutionnel me contraint à une intervention liminaire, qui doit surtout avoir le sens, pour vous, de manifester publiquement la volonté de la Ministre de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, Madame Valérie Pécresse, de voir la science politique en France s’affirmer encore davantage au sein de l’arc des sciences de la société.

La science politique aujourd’hui a atteint un degré de maturité qui lui permet de ne plus douter de son identité. Comme le rappelait Pierre Favre dans sa préface à l’ouvrage dirigé par Eric Darras et Olivier Philippe,  La science politique une et multiple , " les historiens des sciences retiendront la date du colloque de Toulouse (déjà !) — janvier 2001 — comme celle où, peut-être pour la première fois, la science politique française n’a plus craint de s’affirmer, sans forfanterie ni fausse modestie, comme l’égale des autres sciences sociales ", et il évoque un peu plus loin " la maturité épistémologique atteinte par une discipline qui a longtemps hésité à croire en elle-même ". On peut donc être exigeant avec la science politique, quelles que soient ses zones de fragilité, liées à son caractère obligatoirement cumulatif, à son ouverture nécessaire aux approches des autres sciences sociales, à la contrainte qui est la sienne, pour se renouveler, de pratiquer sans relâche métissage, hybridation, remise en cause de ses propres frontières.

Pour citer Ira Katznelson, dans un article marquant évoqué par Nonna Mayer dans son adresse introductive, la science politique est aujourd’hui à la fois indispensable et inadéquate. Or, il s’agit désormais de mieux répondre aux défis d’un monde que guettent le désenchantement démocratique (notamment évoqué par plusieurs politistes ici présents sous la direction de Pascal Perrineau), l’insécurité sociale (pour reprendre le terme utilisé par Robert Castel), l’incertitude née de la reconfiguration de l’Etat post-moderne (pour citer Jacques Chevallier), la marginalisation de l’Etat-nation par les forces de la globalisation, la naissance d’une société cosmopolitique (en se référant à Ulrich Beck), les mutations de l’axe droite/gauche (et pas seulement en France — René Rémond nous rappelait qu’il s’agit de catégories universelles), la violence à grande échelle, fondée sur des motifs identitaires et culturels qui caractérise notre époque (analysée notamment par Arjun Appadurai et Michel Wieviorka), au delà même, les formes politiques ou infra-politiques de la violence et les réponses que nous y apportons, par Etat et police interposés ou autrement : ainsi que le relève Ira Katznelson, comprendre le pouvoir dans un contexte de peur perpétuelle signifie notamment se doter de conceptions plus riches de l’incertitude, y compris l’incertitude profonde. La science politique se doit de répondre à ces défis intellectuels majeurs, de peser davantage sur le débat public, de réfléchir sans cesse à son utilité sociale et d’inspirer plus clairement les décideurs politiques, en prenant une distance soutenable et souhaitable avec la neutralité axiologique chère à Max Weber.

Ayons à l’esprit ce que dit Pierre Favre dans ce très beau livre qu’est Comprendre le monde pour le changer : " Si, comme on peut le penser, ce qui détermine les théoriciens du politique n’est pas complètement disjoint de ce qui détermine le devenir des autres acteurs de la société, leur action publique peut, à certains moments, être en phase avec l’évolution de la société et contribuer à la faire advenir ".