Table ronde 1

Réflexions sur les méthodes en science politique des deux côtés de l'Atlantique
Reflection on the methods of Political Science on both sides of the Atlantic

Table ronde internationale AFSP-MOD (Groupe Méthodes, observations et données de l’AFSP) / APSA (French Politics Group)

Responsables scientifiques :
Nonna Mayer (CEVIPOF/AFSP) nonna.mayer@sciences-po.fr
Andrew Appleton (Washington State University, French Politics Group (FPG) APSA) appleton@wsu.edu

 

Résumés / Abstracts

BLANCHARD Philippe (IEPE-Lausanne)

Qualitatif versus quantitatif. La méthode trahie par son discours

La distinction entre méthodes qualitatives et quantitatives est omniprésente mais, hélas, peu discutée. Elle résulte notamment du processus historique de division du travail scientifique, de l’antagonisme des cultures dites littéraire et scientifique dans la formation des universitaires et du débat entre monisme et dualisme épistémologiques hérité du Methodenstreit allemand. Or l’opposition, la distinction même, entre ces deux mondes méthodologiques, est en général artificielle et superficielle : les critères de la partition sont inconsistants ; la distinction entretient une confusion entre différents niveaux de la réalité du travail scientifique ; sa systématisation mène à des contradictions ; les critères d’identification du quantitatif par lesdits qualitativistes, et inversement, sont fragiles et trahissent une méconnaissance réciproque. L’analyse de textes canoniques de la discipline et des usages concrets de méthodes particulières met en évidence les impasses d’une dichotomie susceptible à la fois de nuire à l’imagination scientifique, de figer l’organisation collective du travail de recherche et de réduire les horizons de ceux à qui elle est enseignée. Si elle peut contribuer à expliquer ce qui sépare les sciences politiques française et américaine, par le simple fait qu’une partie de la communauté scientifique y porte crédit, elle n’aide pas à saisir le fond du clivage, ni à imaginer ce qui pourrait le résoudre.

Quantitative versus qualitative : method betrayed by its discourse

The distinction between qualitative and quantitative methods is refered to by many political scientists, but discusses by few of them. This distinction results from the historical process of division of scientific labor, from the gap between humanities and natural sciences in the education of academics and from the monism-dualism debate inherited from the German Methodenstreit. Yet, opposing, even distinguishing these two methodological worlds is artificial and superficial. The distinction is based on criteria that lack of substance, it confuses distinct levels of scientific work, its systematization leads to contradictions. The definition of quantitative methods by so-called qualitativists and of qualitative methods by so-called quantitativists are weak and betray reciprocal misunderstanding and misjudgment. Through analysis of canonical texts of political science and substantial specific methods, we intend to show that this dichotomy is likely to confine scientific imagination, to mislead the management of collective research and to reduce the intellectual perspectives of the students who are trained to it. Although it might help understand what opposes French and American political sciences, since some academics on both sides believe in it, it will not help understand fully what divides them, nor imagine what could fill in the gap.


GOERTZ Gary (Department of Political Science, University of Arizona)

A Tale of Two Cultures: Contrasting Quantitative and Qualitative Research.

The quantitative and qualitative research traditions can be thought of as distinct cultures marked by different values, beliefs, and norms. I adopt this metaphor toward the end of contrasting these research traditions across 10 areas: (1) approaches to explanation, (2) conceptions of causation, (3) multivariate explanations, (4) equifinality, (5) scope and causal generalization, (6) case selection, (7) weighting observations, (8) substantively important cases, (9) lack of fit, and (10) concepts and measurement. I suggest that an appreciation of the alternative assumptions and goals of the traditions can help scholars avoid misunderstandings and contribute to more productive cross-cultural communication in political science.


LEFEBURE Pierre (CEVIPOF)

La difficulté à traiter le rapport des citoyens au politique. L’exemple du statut ambivalent du référendum révélé par le croisement des méthodes qualitatives et quantitatives

Les limites à l’usage du référendum en France pourraient nourrir le fort soutien (autour de 90%) à son extension tel que les enquêtes d’opinion le mesurent durant les années 1990 et 2000. Mais la participation irrégulière oblige à s’interroger : participation faible en 1988 (33% sur l’autodétermination en Nouvelle-Calédonie) et en 2000 (30% sur le quinquennat présidentiel) ; massive en 1992 (70% sur le Traité de Maastricht) et en 2005 (70% sur le projet de constitution européenne). L’alternance de tels écarts ne s’accorde pas avec l’idée que la rareté des référendums susciterait un désir latent élevé et stable qu’indiquent pourtant les sondages. En fait, un regard un peu plus fin sur ces enquêtes révèle que le niveau de soutien varie sensiblement quand la question s’accompagne d’arguments au lieu d’être limitée à approbation ou désapprobation de principe. Il y a donc lieu de s’interroger sur le statut du référendum et les questionnements qu’il convient de lui appliquer et les données appropriées.

Mon enquête qualitative par entretiens collectifs non directifs dévoile un statut très ambivalent par rapport à ce qu’enregistrent les enquêtes par sondage. Puis le retour sur des données quantitatives (enquête Démocratie CEVIPOF/Stanford 2000), confirme ce que le matériau qualitatif a permis d’établir : les réponses sur le référendum ne se rapportent pas tant à lui-même comme instrument de démocratie directe qu’aux frustrations et attentes liées au fonctionnement de la démocratie représentative.

Understanding how citizens relate to politics: a case-study on cross-fertilizing qualitative and quantitative methods

In France, referenda are rarely used despite a recent extension to social and economic issues (1995) and to the city-level (2003). Such restrictions could explain the high support (about 90%) for an extended and more frequent use of referendum as survey research has constantly reported it in the 1990s and 2000s. However, one should wonder why the turnout is so variable from one referendum to the other in the same period of time (33%, 70%, 30%, 70%), thus suggesting that there may be a discrepancy between attitude and behaviors or, alternatively, that we need to clarify the status of referendum regarding how citizens think about politics.Looking more carefully at these surveys, we find that once respondents are provided with arguments and not only with the simple approbation or rejection of the referendum answers are significantly affected. Such results back the idea that we need to investigate how people relate to referendum more in-depth. Therefore I have conducted a qualitative research based on collective and non directive interviews which indeed shows an ambivalent and cautious approach of the referendum as a democratic tool. Then going back to quantitative data (Democracy survey CEVIPOF/Stanford 2000), it is confirmed that the answers are connected with a wider spectrum of political reasoning which involves citizens’ expectations about representative democracy. Such results suggest to refine our research tools and research questions combining qualitative and quantitative methods.


RUMPALA Yannick (Université de Nice / ERMES)

La quête du sens. Repenser la question de l’interprétation dans l’analyse des politiques publiques

Cette contribution propose de s’intéresser à la dimension interprétative de l’" analyse des politiques publiques ". Cette dimension a été mise en avant par un courant de recherches qui semble avoir bénéficié d’un écho moins important dans la sphère francophone que dans la sphère anglo-saxonne. Sous différentes formes, ce courant est défendu par des auteurs influents comme Frank Fischer, Dvora Yanow, Mark Bevir, r.a.w. rhodes. Il se distingue des travaux français qui prétendent intégrer la question du sens par une approche le plus souvent qualifiée de " cognitive ". Par la mise en perspective de ce courant de recherches qui prétend prolonger un " tournant interprétatif ", l’objectif de cette contribution est notamment de ressaisir ce que peut être un travail analytique sur les politiques publiques, précisément en soulignant les lacunes que peut engendrer l’absence d’une appréhension interprétative. De fait, beaucoup de travaux récents touchant ce qu’il est convenu d’appeler l’" analyse des politiques publiques " ou la " sociologie de l’action publique " font preuve d’un grand raffinement sociologique dans leurs analyses. Le lecteur peut souvent y voir des jeux d’acteurs minutieusement étudiés, mais il peut ressentir un manque dans la mesure où il n’a tout aussi souvent guère de clés pour saisir le sens de ces activités. La question peut donc se poser de la recherche d’un positionnement différent dans la manière d’élaborer l’analyse à partir des informations recueillies. Dégager des raisons ou des causes ne relève pas du même ordre de pensée que saisir un sens. Une démarche interprétative peut réduire les risques de confinement dans la sophistication d’une micro-analyse ; en évitant de faire des processus étudiés des épisodes particuliers et presque indépendants de leur contexte d’origine, elle peut ouvrir vers des possibilités d’appréhension du rôle des interventions institutionnelles par rapport à des évolutions sociales de fond. Cette fertilité analytique peut même s’avérer d’autant plus nécessaire que la période actuelle donne fréquemment une image d’immersion dans un mouvement de changements profonds.

The quest for meaning. Reconsidering the question of interpretation in policy analysis

This contribution proposes to take an interest in the interpretative dimension of policy analysis. This dimension has been put forward by a current of research which seems to have enjoyed a less important echo in the French-speaking sphere than in the Anglo-Saxon sphere. In various forms, this current is defended by influential authors like Frank Fischer, Dvora Yanow, Mark Bevir, R.A.W. Rhodes. It can be distinguished from French research work which claims to integrate the question of meaning with an approach generally described as "cognitive".With a viewpoint on this trend of research which claims to extend an "interpretive turn", the objective of this contribution is in particular to grasp what an analytical work on public policies can be, precisely by underlining the gaps that the absence of an interpretative apprehension can generate. In fact, much of recent work concerning what is commonly called "policy analysis" or "sociology of public action" shows a great sociological refinement in the analyses. The reader can often see groups of actors thoroughly studied, but s/he can feel a lack insofar as s/he also often has few keys to seize the meaning of these activities.The question that can thus be asked is that of a different positioning in the way of working out the analysis from the collection of information. Bringing out reasons or causes does not concern the same nature of thought than seizing meaning. An interpretative approach can reduce the risks of confining in the sophistication of a micro-analysis; by avoiding transforming the processes that are studied in particular episodes almost independent from their original context, it can open onto possibilities of apprehension of the role of institutional interventions in relation to fundamental social evolutions. This analytical fertility can even prove all the more necessary since the present period frequently is often described as immersed in a movement of major changes.


SCHEMEIL Yves (Institut d’Etudes Politiques de Grenoble et Institut Universitaire de France)

Croiser le quantitatif et le qualitatif dans l’analyse empirique de la causalité : enquêtes et expériences sur les connaissances politiques et le jugement public

Plusieurs équipes dans le monde ont renouvelé l’analyse des connaissances politiques en postulant grâce à des études quantitatives que la compétence objective jouait un rôle dans la capacité et la motivation à voter. En combinant quantitatif et qualitatif nous nous demandons quant à nous dans quelle mesure et dans quels contextes le fait d’être expert ou novice peut conduire à modifier son raisonnement, et donc à changer d’avis si l’on y est incité. A cette fin, nous utilisons dans nos enquêtes par sondage des récits que nous appelons " scripts ", générateurs de réponses à des questions ouvertes dont nous analysons le contenu à l’aide de divers logiciels. Nous appliquons le même traitement à une trentaine d’entretiens avec des personnes ayant répondu à l’enquête pilote conduite par téléphone, qui ont accepté d’être contactées à nouveau pour un long face à face. Nous espérons expliquer ainsi comment les citoyens ordinaires s’informent, mémorisent, prennent en considération, réutilisent une connaissance politique qui leur est apportée dans le cours de l’enquête ; mais aussi comment ils raisonnent, et comme ils parviennent à se forger un jugement public sur des problèmes publics, débattus publiquement, que ce soit par leur vote, ou par leur participation à des discussions privées. Les hypothèses initiales ont été reformulées suite à ce protocole nouveau : (1) l’usage des connaissances n’est pas toujours conforme à ce que prédit la théorie car certaines personnes en ont besoin pour ne pas être désocialisées, et conserver l’estime de soi, et non pas pour améliorer l’efficacité et la sincérité de leur vote ; (2) l’acquisition de connaissances politiques sert surtout à prendre position lorsque l’occasion s’en présente, mais la résistance idéologique, partisane, ou biographique à la compréhension des connaissances nouvellement acquises vient réfracter le spectre de leurs effets. Nous montrons ainsi dans cette communication comment le recours au qualitatif améliore la performance des méthodes quantitatives ; comment il déplace inévitablement leur objet initial ; et comment le contenu de ces connaissances peut être " civique " en Amérique du Nord, et " stratégique " en Europe (un résultat assez contre intuitif).

In recent years, research on political knowledge has used quantitative surveys to show that objective competence was at the roots of the capability and motivation to vote. Combining quantitative and qualitative studies, we try to assess to what extent and in which particular context experts and novices may modify their judgment, and change opinion when incited to. To this end, we introduce in our own surveys some narratives called " scripts ", stimulating answers to open-ended questions. We then analyse their content with various CAQDAS. The operation is repeated with some face-to-face interviews with respondents accepting to be recalled long after the telephone survey. Our aim is twofold: firstly, to explain how ordinary citizens collect information, memorize it, and retrieve it (especially when dissonant news are brought to them during the survey); secondly, to understand how they come to adopt a judgment on openly debated public issues, and convert it into a vote or into a statement when discussing politics with relatives, friends and colleagues. Thanks to this protocol, we were able to reformulate and compete our initial hypotheses: (1) knowledge is effective, but not as predicted by the models since citizens may use it to enhance their self-esteem and remain socialized; (2) collecting political knowledge help siding for or against a program or a person, but ideology, party alignment, and life experience generate some resistance to political adjustment, and introduces a bias in the relationship between incoming news and ultimate choice.We show in this paper that using qualitative studies dramatically improves the performance of quantitative tools; we also show how this methodological mix shifts our perception of the role played by political knowledge in public judgments. Finally, our surveys indicates that political knowledge may empirically as well as theoretically differ from the USA to France: whereas its content is more "civic" in North America, it seems more "strategic" in France, a counter intuitive outcome.

 

BOX-STEFFENSMEIER Janet M., SOKHEY Anand E. (Ohio State University)

Event History Analysis: A Longitudinal Approach for Voting Decisions

The manuscript focuses on event history analysis, noting several prominent applications in the study of politics. Different modeling strategies are discussed, along with problems (and misconceptions) common (and unique) to political survival research. The Cox model is introduced and comparisons to parametric models are drawn. Interesting and useful modeling complications are introduced by a consideration of multiple events. Both ordered (repeated) and unordered (competing risks) are explained. A full array of diagnostics for the models is presented. Important extensions of the Cox model are then highlighted. The focus here is on multi-level (hierarchical) event history models and conditional frailty models. An example analysis using the timing of voting decisions is presented. We ask, "When do voters make up their mind?" A multi-level Cox semi-parametric model is estimated where individual voters are nested within states. We provide substantive interpretation as well as statistical comments on multi-level extensions. The manuscript concludes with commentary on the future of event history in the study of politics. There is better (and more data) available now for use with event history techniques. New methodological extensions included the ability to account for heterogeneity, event dependence, and spatial modeling. New answers are provided to old questions when conducting a more appropriate event history analysis.


CONTAMIN Jean-Gabriel (Université Lille 2-Ceraps)

Que faire des analyses événementielles ?

Depuis quelques années, une nouvelle technique d'analyse, l'analyse événementielle s'est diffusé en sciences sociales, d'abord pour travailler sur les mobilisations collectives (Rucht et alii, 1998), ensuite pour analyser d'autres objets  (Ball, 2005). On a même pu dire qu'elle avait été à l'origine de l'émergence d'une véritable industrie : la 'Protest Event Analysis' (Koopmans et Rucht, 2002). Toutefois, cette technique n'a pas reçu le même accueil en France et dans les pays anglo-saxons. Alors que ses vertus ont été largement proclamées là-bas, en France, les rares travaux qui se réfèrent à ce mode d'analyse le font le plus souvent de manière critique : soit in abstracto (Juhem, 1997), soit en comparant données médiatiques et données policières (Fillieule, 1996). Toutefois, cette contribution ne vise pas à expliquer cette différence d'accueil, mais plus simplement à se demander ce qui peut être fait et ce qui ne peut pas être fait d'une analyse événementielle fondée sur des données médiatiques, en partant de l'exemple d'une telle analyse appliquée à une pratique protestataire spécifique 'le pétitionnement) étudiée à partir d'une démarche elle-même particulière (pas d'échantillonnage, une grande variété de données médiatiques, pas de division du travail).
On montrera que, dans cette perspective, l'analyse événementielle peut être féconde par trois biais. En faisant des obstacles méthodologiques des indicateurs sur l'objet étudié. En utilisant cette technique comme un instrument pour étudier les intermédiaires médiatiques eux-mêmes. Et en faisant un usage qualitatif de ces données quantitatives, et réciproquement.
On pourra alors s'interroger sur la nature chiasmatique des différents régimes épistémologiques qui dominent dans des univers scientifiques eux-mêmes divers.

Event analysis : What for ?

In recent years, a new technique, event analysis, has spread first of all to study social mobilizations (Rucht et alii, 1998), then to study other objects  (Ball, 2005). It has even been said that it was the origin of a real industry : the 'Protest Event Analysis' (Koopmans et Rucht, 2002).
However, this technique has been differently considered in anglo-saxon countries and in France. In this country, the few works which refer to event analysis allude to it from a critical point of view : either in abstracto (Juhem, 1997), or by comparing media data and police data (Fillieule, 1996). Nevertheless, this contribution does not aim at explaining this difference, but at wondering what can be done and what cannot be done from an event analysis based upon media data, studying a specific protest practice (petitioning) from a specific point of view (no sampling, a great variety of media data, no division of work). It will be explained that the use of this technique might be trebly prolific. By converting methodological obstacles in indicators upon the studied object. By using this technique as a mean to study the intermediaries themselves. And by making a qualitative use of quantitative data, and vice versa.
It will be then possible to wonder about the chiasmatic nature of the different epistemological regimes which dominate in the different scientific universes.


FILLIEULE Olivier, BLANCHARD Philippe (IEPI-CRAPUL, Lausanne)

Du récit biographique aux parcours de vie. Proposition pour une articulation du singulier à la biographie collective

Volontiers étudiés par le récit de vie en Europe, avec le risque de ne pouvoir montrer en généralité, les parcours militants le sont plutôt aux Etats-Unis au moyen d’enquêtes par questionnaires non diachroniques qui, elles, laissent en suspens la plupart des bonnes questions. L’établissement de parcours-types sur la base du concept de carrière (Becker, Mills) permet de sélectionner les individus pertinents en vue d’entretiens qui nourrissent en retour la description des parcours. Nous proposons un modèle de biographie qui agrège différentes carrières simultanées (professionnelle, militante hors l’association considérée, socio-sexuelle, de proximité effective et affective à la maladie) de membres actuels et passés de la principale association de lutte contre le sida française. Des étapes standards sont définies au sein de chaque carrière, puis les biographies sont comparées deux à deux par une méthode importée de la génétique, l’optimal matching analysis, qui débouche sur une typologie des parcours par classification sur la matrice des distances. Plusieurs difficultés intriquées surgissent : concilier temps biographique et temps historique, traiter simultanément de l’ordre et de la durée des expériences, intégrer la variabilité liée aux générations comme celle due à la durée de l’engagement. Mais le caractère pragmatique et itératif de la méthode choisie, appuyé par la réalisation de graphes diachroniques, permet un ajustement du modèle suffisamment informé sociologiquement.

From life history to life trajectories. Proposal to articulate singular to collective biography

European political scientists generally grasp militant trajectories through life history interviews, sometimes falling into idiosyncrasy, while Americans prefer synchronic questionnaire analysis, thus occasionally failing to broach the right questions. By mapping out typical trajectories based on the concept of militant careers (Becker, Mills), we intend to improve the selection of individuals relevant to be interviewed, which interviews, in return, improve the description of trajectories. We propose a biographical model that combines simultaneous careers (job, militancy outside the organization, socio-sexual life, objective and subjective proximity to disease) of present and past members of the main French anti-aids association. Standard steps are defined in each career, then biographies are systematically compared by means of a method first designed by geneticians, optimal matching analysis, which leads to a classification of trajectories through cluster analysis of the resulting distance matrices. Several intertwined difficulties arise : how can biographical and historical time be compounded? how can the order and the length of experiences be articulated? how can the variability among generations and among longly and shortly engaged people be integrated? The empirical and iterative properties of optimal matching analysis, propped up with diachronic graphs, help ajust the model in a suitable sociological way.


OESER Alexandra (CMH, EHESS/ENS, Paris et LaSSP, IEP de Toulouse)

Comment appréhender le temps comme variable de recherche ? Etude par cohorte et histoires de vie : résultats d’un croisement de deux dispositifs d’enquête

Cette communication propose, à partir d’une enquête de terrain mené pendant trois ans dans quatre lycées à Hambourg et Leipzig sur la transmission du nazisme de s’interroger sur un double dispositif d’enquête. Une approche longitudinale, utilisant des histoires de vie, adresse les évolutions des positions par rapport au passé: Celles des élèves, selon leur âge, celles des professeurs selon le contexte temporaire et relationnel de l’entretien. Une approche transversale adresse des questions d’appartenance générationnelle. Une comparaison Est-Ouest fait apparaître deux ensembles générationnels (K. Mannheim). Les professeurs d’Hambourg appartiennent pour une grande majorité à ce que j’ai appelé l’unité générationnelle pro-" 1968 ", ceux et celles de Leipzig à ce que j’appelle l’ensemble générationnel " 1989 ". La comparaison dégage l’influence du contexte historique sur l’interprétation du passé. Prendre en compte le temps à la fois en tant que temps biographique et processus ainsi que son influence en termes d’évolution sur une vie individuelle, et en tant que temps historique et collectif permet de différencier les résultats obtenus. Ainsi la transmission du passé paraît-elle comme un processus complexe d’interaction d’individus et de groupes. La création de " citoyens démocratiques " par l’école croise l’appartenance politique, position sociale et expérience historique. Les deux dispositifs d’enquête permettent d’ inscrire le temps biographique dans le temps historique.

This communication will question a twofold research disposition of a doctoral thesis on the transmission of nazism based on three years of fieldwork in four schools of the cities of Hamburg and Leipzig. A longitudinal approach, based on narrative biographies, addresses the evolutions of interpretations of the past by the students, according to their age, and by the teachers, according to temporal context and the relationship established with the interviewer. A transversal approach addresses questions of generational belonging. An east-western comparison shows two generational units (Mannheim). Most of Hamburg’s teachers belong to what I have called the pro-"1968" generational unit, those of Leipzig belong to the "1989"-generation. Their comparison reveals the influence of historical context on the interpretation of the past. Time has to be analysed biographically, taking into account individual evolutions in a lifetime, but also historically and collectively, allowing to differentiate results obtained through research. Thus the complexity of transmission processes of the past as an interaction between individuals and groups can be addressed. The creation of "democratic citizens" by the school allows to cross political and social positions with historical experiences. The twofold disposition of the research inscribes biographical time into historical time.


MAGNI BERTON Raul (IEP de Bordeaux)

Temps du sondage et temps électoral : Inférences temporelles sur données simultanées dans les élections de second ordre

L’objectif de cette communication est de tester certaines des conséquences de la théorie des élections de second ordre au niveau individuel. La principale hypothèse testée est que plus l’élection de premier ordre (nationale) est éloignée et moins les votants tendent à aimer leur gouvernement. Une recherche au niveau individuel permet de déterminer quel type de comportement la théorie prédit et pour quel type de personnes. Nous utilisons les données d’Eurobaromètre 2004 : elles couvrent 25 pays et environ 30.000 individus. L’exposé procédera en deux étapes. Premièrement, il comparera le temps du sondage (qui est le même pour tous les pays : février ou mars 2004) avec le temps du cycle électoral (qui varie selon les pays). Un modèle multi niveaux permet de déterminer la relation entre le cycle électoral, la popularité du gouvernement et le vote, en prenant en compte les variables sociodémographiques classiques. Deuxièmement, il évaluera le changement de comportement des gens qui votent normalement pour les partis au gouvernement (déterminé ici par un proxy : l’autopositionnement sur l’axe gauche-droite). Enfin, il discutera les avantages et les inconvénients de l’analyse de sonnées simultanées pour étudier le changement des comportements politiques.

Opinion poll’s time and electoral time: temporal inferences on simultaneous data in second order elections

The aim of this communication is to test some of the consequences of the second-order elections theory at the individual level. The main hypothesis tested is that the more distant people are from a first order election (national) the less they like their government. An individual research allows to determinate for what kind of people this theory works. The idea is to make temporal inferences using simultaneous individual data. We use the 2004 eurobarometer data: it covers 25 countries and approximately 30.000 individuals. We do things in two steps. Firstly, comparing the opinion poll’s time (which is identical for all countries: February or March 2004) with the time of the electoral cycle (which varies by country). A multilevel model determines the influence of the electoral cycle on the government’s popularity and on voting, associated with more classic socio-demographic variables. Secondly, exploring the differential behaviour of people who normally should vote for the governing parties (using left-right scales). Finally we discuss merits and limits of the analysis on simultaneous data for studying changes in political behaviour.


MERMAT Djamel (Université de Lille 2)

Une droite nationale " populaire et sociale " ? Le FN au concret : le " parti de Jean-Marie Le Pen " à l’épreuve de ses nouveaux partisans

Notre intervention consiste à définir les principales étapes par lesquelles s’effectue l’intégration des " primo partisans " au Front national (qu’ils soient sympathisants, adhérents, ou militants de ce parti pour la première fois de leur vie), qui ont rendu public leur attachement à ce parti, après le 21 avril 2002 et avant le 22 avril 2007. Le choix d’aller à leur rencontre pendant l’année précédent le premier tour de la présidentielle se justifie par l’absence, jusqu’à aujourd’hui, d’observations minutieuses, replacées dans leur contexte, et surtout systématiques, rendant justement compte de ce qui se passe à l’intérieur du FN pendant une année de campagne électorale. C’est autrement dit une manière particulière d’appréhender le temps que nous encourageons ici : le temps évènementiel et en tant que processus. De cette façon, nous déterminerons à partir de quel seuil ces partisans possèdent l’ " habitus frontiste ", et nous mettrons en perspective les nouveaux modes d’adhésion au Front national, la réactualisation de l’ethos des soutiens de la droite extrême française. Notre hypothèse primordiale étant que la socialisation à une " éthique frontiste " - révélée ou réveillée par la campagne présidentielle - serait la clé permettant de comprendre l’investissement différencié des partisans du FN.

A "populist and social" national Right ? The National Front in real terms : "Jean-Marie Le Pen’s party" put to the test by its new supporters

Our intervention will consist in defining the principal means, ones these new followers (sympathizers, members or first time activists) are integrated into the National Front (their first public support for this party was revealed between 2002 and 2007). This choice was dictated by the absence to date of detailed and, particularly, systematic observations put in context that take into account the internal operations of the National Front in a year of election campaign. In other words, we are encouraging a particular way of perceiving time : as event-driven and as a process. Starting from this point, we will examine the form of socialization to which these "new supporters" are subject during a presidential campaign. In this way, we will determine at what point they develop the habits of the National Front. They will serve as examples for this fresh perspective on a new form of support for the National Front, and for updating the ethos of supporters of the French extreme right. Our underlying hypothesis is that socialization to an "ethics of the Front", revealed or reawakened by the presidential campaign, would in some way prove to be the key to understanding the varying degree of personal involvement of NF supporters.


GOUIN Rodolphe (SPIRIT, IEP de Bordeaux)

Situer le temps dans la comparaison. Sur quelques silences méthodologiques

Ce texte tente d’éclairer un certain nombre de points obscurs tenant à la rareté, voire à l’absence de réflexion méthodologique sur les spécificités du comparatisme diachronique, c’est-à-dire de la comparaison de deux objets situés sur un même territoire mais à deux époques différentes. Passer de la comparaison dans l’espace à la comparaison dans le temps ne revient pas à appliquer les recettes valables pour la première à la seconde. Définissant cette approche dans sa version stricte (les deux objets sont situés sur le même territoire, à deux moments différents), nous en resituons la pratique au sein de la discipline et constatons qu’elle n’est réellement prise en charge par aucune des branches de la science politique : ni par le comparatisme classique, ni par la sociologie historique comparative, ni par la sociologie historique du politique, ni non plus, au sein de l’historiographie, par ce qu’on nomme l’histoire comparée. Nous abordons ensuite une à une les spécificités méthodologiques de la comparaison diachronique stricto sensu : la variation culturelle due à la différence d’inscription temporelle, et que l’on ne peut traiter comme la variation culturelle due à la différence de territoires ; les pièges de l’analyse processuelle tenant au fait que celle-ci est en réalité toujours fondée implicitement sur une comparaison diachronique ; enfin les obstacles à la poursuite de l’objectif d’administration de la preuve.

Bringing Back Time into Comparison. On a few methodological silences

We seek to highlight some methodological difficulties entailed by the lack of reflection about the peculiarities of diachronic comparative analysis, i.e. comparison of two objects sharing the same location but occurring at different times. We assume that methods and techniques of cross-spatial comparison may not be appropriate to cross-temporal comparison. The first section defines diachronic comparison in the strict sense (same location, different times). We account for its place among the different forms of comparative studies in political science and show that no sub-field seriously thought its specific methodological features, neither classical "comparative politics" nor comparative-historical sociology, nor historians’ comparative research. It is followed by the study of each specific feature of diachronic comparison: the cultural variation due only to temporal variation that we cannot treat as cultural variation due to different locations; process analysis pitfalls bound to the fact that every process analysis is actually based on an implicit diachronic comparison; obstacles to the research of causation evidence.

 

COLAZZO Dario (LRI), DUDOUET François-Xavier (IRISES), MANOLESCU Ioana (INRIA), N’GUYEN Benjamin (PRISM), VION Antoine (CERI)

Traiter des corpus d’information sur le Web. Vers de nouveaux usages informatiques de l’enquête

Les bases de données semi-structurées, par leurs configurations arborescentes flexibles, permettent de faire évoluer l’architecture en fonction des évolutions de la recherche. Elles facilitent aussi le lien entre traitement quantitatif et qualitatif sur des gros corpus. La construction de la base se situe en amont des traitements quantitatifs habituellement utilisés par les sciences sociales : statistiques, analyses factorielle ou structurale. Et le caractère semi-structuré des données offre la possibilité d’un retour aux détails les plus infimes. La méthode expérimentée par l’équipe consiste à extraire automatiquement des données sur le web, les entreposer, et traiter ce corpus en effectuant des requêtes en X Query. Les premiers résultats présentés seront relatifs à une étude en cours sur les dynamiques de négociation de certaines normes au sein du World Wide Web Consortium (W3C). Ces dynamiques sont étudiées tant du point de vue des modalités de négociation que des qualités des participants et des enjeux économiques pratiques que ces instances recouvrent pour les entreprises concernées. Le recueil de données consiste en un recensement informatisé des individus ayant participé aux négociations, et de leur appartenance institutionnelle (organisme ou société). Les diverses sources d'information électroniques (listes de discussion, forums, pages Web personnelles, bases de données en ligne) sont exploitées par l’utilisation de techniques de crawling.

Analysing web data-bases. Towards new AI inquiries

Semi-structured data-bases are based on a flexible tree-patterned architecture, very different from the well-known classical relational tables. This structure can help managing sociological inquiries, by allowing an evolutive strategy of categorization. It allows to control the research process above quantitative work (statistics, factorial analyses, structural network analyses) and so, to control the ways scholars can go back to the details and simultaneously manage very sharp qualitative analyses. This paper will present the first results of a study on the bargaining process of web standards in W3C arenas. This process is analysed through barganing habits and through networks of actors who take part in it. The data collection is based on informations about individuals who play the game : who are they ? In the name of whom do they talk ? etc. Official chats and forums, web home pages and personal pages are exploited by ad hoc crawling methods.


GENICOT Geneviève, DESCHAUX-BEAUME Delphine, GERMAIN Séverine (PACTE-Sciences Po Recherche, IEP de Grenoble)

Etudes multi-niveaux : quantité ou qualité ? La cuisine rigoureuse de trois thèses en cours

Cette communication entend aborder de manière décomplexée l’étude des réseaux d’acteurs multi-niveaux, à travers la présentation des points communs d’ordre méthodologique de trois thèses en cours, portant respectivement sur la genèse de la politique européenne de défense, l’européanisation de la représentation étudiante en Belgique, France, Italie et Portugal, et les politiques locales de sécurité en France et en Italie. La démarche qualitative adoptée repose sur une étude des trajectoires professionnelles ou carrières militantes des acteurs, de leur(s) appartenance(s) organisationnelle(s), des niveaux géographiques auxquels ils opèrent et de leurs déplacements spatiaux. Si chacune des trois recherches a connu un niveau de départ spécifique (local ou national) à partir duquel s’est tissée l’étude multi-niveaux, des dispositifs méthodologiques identiques ont été utilisés (et combinés selon des proportions variées) dans les trois recherches, à savoir des entretiens et conversations informelles, des observations participantes -sous forme d’insertion dans les communautés épistémiques ou d’amitiés ambiguës-, une " filature " du réseau au sens de reconstitution des relations entretenues entre les individus. Les trois recherches parviennent unanimement à un double constat : la stabilité d’un " noyau dur " relativement restreint d’individus au sein des réseaux et la nécessité d’étudier les mêmes acteurs à différents niveaux pour saisir les identités multiples dont ils sont porteurs.

Multi-level studies : quantty or quality ?The rigorous receipes of three dissertations in progress

This communication aims at leading a free reflection on the study of multi-level policy networks. We will proceed presenting our methodological points of convergence from our three PhD dissertations in progress dealing respectively with the genesis of the European Security and Defence Policy, the Europeaniztion of students mobilisation in Belgium, France, Italy and Portugal, and the local security policies in France and Italy. We adopted a qualitative way of proceeding based on the study of the professional or militant carriers of the actors, a study of their organisational adherences/ belongings. We also had a close look at the geographical levels from which they operate and at their spatial moves. If each of our three studies had a specific starting point (local or national) from which we wove our multi-level enquiry, we used identical methodological tools and combined them in varying proportions: qualitative interviews and informal conversations, participation observations —through an insertion in epistemic communities or ambiguous friendships-, a "tracking down" of the network actors in the sense of reconstructing the relationships between its members.


KING Gary, HOPKINS Daniel (Institute for Quantitative Social Science,
Harvard University)

Extracting Systematic Social Science Meaning from Text

We develop a new approach to computerized content analysis. The methods  we offer take as data a set of text documents (such as speeches, blogs, open ended survey responses, andidate web sites, congressional legislation, judicial opinions, or newspaper editorials), a categorization scheme, and a small subset of documents hand-coded into  the given categories. The subset need not be a random sample, and may differ in dramatic but specific ways, from the population of documents to classify. Without parametric modeling assumptions, our method appears to be the first to give approximately unbiased estimates of the  proportion of documents a human would have placed in each category.  It also goes further to correct, apparently also for the first time, for the less-than-perfect levels of inter-coder reliability that typically  characterize human attempts to classify documents. We illustrate the  effectiveness of this approach by tracking the daily opinions of  millions of people about candidates for the 2008 presidential nominations in online blogs. We also demonstrate that the effectiveness of our approach generalizes by briefly conducting valuations in a variety of available corpora from other areas, such as large databases of movie reviews, university web sites, and others.


LASLIER Jean-François (PREG — Polytechnique), SAUGER Nicolas (CEVIPOF), VAN DER STRAETEN Karine (PSE)

Les méthodes expérimentales en science politique

Les méthodes expérimentales connaissent aujourd’hui un succès croissant en science politique comme d’ailleurs dans d’autres disciplines, et notamment en économie. Un nombre croissant de publication se base sur des données issues d’expérimentations, et, peut être de manière encore plus révélatrice, la démarche expérimentale est revendiquée par des traditions de recherche de plus en plus différentes. Les méthodes expérimentales se parent en effet de la plupart des qualités que l’on peut attendre d’une démarche scientifique. Pourtant, une interrogation centrale demeure quant à son " utilité analytique ", ou, autrement dit, son pouvoir d’expliquer le monde. Pour remédier à ces difficultés de validation externe des résultats expérimentaux, plusieurs stratégies ont été explorées que ce soit au travers du " field experiment " ou de nouvelles techniques de sondage. Dans ce contexte, cette intervention se veut d’abord être une contribution au débat sur l’épistémologie et la méthodologie de l’expérimentation pour la science politique. A partir d’une littérature grandissante, nous proposons de comprendre ce que représente ce type de méthode (en insistant également sur sa grande hétérogénéité) au sein de la science politique ainsi que quelques pistes pour comprendre quelle peut être son " utilité analytique ".

Experimental methods in political science

Experimental methods are getting more and more popular within political science, just as in other social sciences, economics for instance. The number of articles based on data drawn from experiments is growing. And, it might be even more revealing, more and more research traditions are claiming to be experimental (or at least, are claiming to include in their techniques experimentation). Experimental methods have many qualities of what is expected from a scientific method. However, there is some concern about its "analytic utility", i.e. its ability to make us understand the world better. To solve this problem of external validity of experimental results, several strategies have been proposed through field experiment or new techniques of opinion survey for instance. This paper is a contribution to the debate on the epistemology and methodology of experimentation in political science. From a growing body of literature, we propose to analyse what is experimentation in political science (being aware of the important heterogeneity of the family of methods) and we suggest some ways in which experimentation may have some analytic utility.


ROUX Guillaume (PACTE - IEP de Grenoble)

Contexte local, insécurité, xénophobie et vote Le Pen. Une approche quantitative "à petite échelle"

Cette communication vise à nourrir la réflexion méthodologique sur les possibilités de prise en compte des effets du contexte local sur les attitudes et les choix politiques, à travers l’étude de la xénophobie et du sentiment d’insécurité, en lien avec les intentions de vote pour Jean-Marie Le Pen lors de la présidentielle de 2007. Elle s’appuie sur les données de l’enquête grenobloise FJP (Formation du Jugement Politique), qui comprend la réalisation de plusieurs enquêtes électorales par sondage " à petite échelle ", c’est-à-dire au niveau de cinq zones géographiques locales : quatre cantons et une commune de l’Isère, fortement contrastées du point de vue de la composition sociodémographique, comme de l’histoire et de la " culture " politiques. Nous évoquerons pour commencer les apports mais aussi les limites de l’enquête FJP, s’agissant d’appréhender différentes dimensions de ce qu’on peut entendre par " contexte " : caractéristiques " objectives " des lieux et de leurs habitants, " lieux vécu " dans sa perception subjective, et " contexte relationnel " défini en termes d’interactions sociales. Nous pourrons ainsi distinguer plusieurs types " d’effets de contexte ", ou catégories d’hypothèses associées, s’agissant de la compréhension du vote et des attitudes politiques, aux différentes dimensions du " contexte " local. L’enquête FJP permettra alors de tester plusieurs hypothèses concernant l’effet du contexte local sur la xénophobie et le sentiment d’insécurité, en lien avec la vote Le Pen : les attitudes qui sont liées au vote d’extrême droite dépendent-elles du contexte local ? L’impact de ces attitudes sur le vote dépend-il lui-même de certaines " variables " de contexte ?

This communication is a contribution — through the study of ethnic prejudice and unsafety feelings, in relation to extreme right wing voting (2007 Presidential election) — to the methodological reflection on the measurement of local contextual effects on political attitudes and choices. It is based on the FJP (Formation of Political Judgments) survey, including several "small scale" electoral surveys, i.e. opinion polls limited to five local geographic units: four cantons and one small city from the French departement of Isere, highly contrasted as regards to sociodemographic composition, as well as political history and "culture". We shall first consider the contribution of the FJP survey to the study of different dimensions of what we are used to call "context" : the "objective" characteristics of places and their inhabitants, the "lived place" in its subjective perception, and the "relational context" referring to social interactions. We shall thus distinguish several categories of "contextual effects", or hypothesis related to different dimensions of the local "context". The FJP survey shall then allow to test for several local contextual effects on ethnic prejudice and unsafety feelings, in relation to extreme right wing voting: do attitudes related to extreme right wing voting depend on local contexts? And does the effect of these attitudes on extreme right wing voting depend on a number of contextual "variables" ?


(Supplementary paper, discussed but not presented)

DOGAN Mattei (University of California, Los Angeles)

La France en dix tranches sociologiques : La méthode de la décilisation mattei.dogan@wanadoo.fr

L’homme est un être social. Ce précepte veut dire que pour comprendre son comportement on ne devrait pas l’extraire de son contexte social. Pourtant, en 1950 un article de sept pages sur ecological fallacy a suffi pour provoquer un séisme méthodologique à travers toutes les sciences sociales. On a alors changé de méthode, mais pour tomber — via l’enquête à base d’échantillonnage — dans un autre gouffre, celui de l’individualistic fallacy. Dans une analyse de régression multiple pourtant sur les cantons ruraux (en excluant les villes de plus de 20 000 habitants) de la France de la génération précédente, on a d’abord confirmé le caractère fallacieux des coefficients de régression multiples au niveau national et au niveau régional. On a ainsi démontré la nécessité de descendre à un niveau territorial plus restreint, et donc plus homogène. Cette étude se propose de réhabiliter l’analyse des données agrégatives, en montrant que dans certaines conditions la méthode écologique (dans le sens d’espace social) peut s’avérer valable statistiquement et sociologiquement pertinente. Avec la collaboration de D. Derivery, on a adopté comme unité d’analyse le canton (au total 2450 cantons) et on a forgé la notion d’espace de référence contextuelle, en calculant quatre-vingt-sept régressions multiples pour autant de départements. On propose donc la méthode de la décilisation qui consiste dans la construction d’univers statistiques à partir d’unités territoriales. Les dix tranches statistiques sont débarrassés des contingences géographiques. Le décilisation est en quelque sorte un épitaphe pour la vénérable géographe électorale. La condition requise pour la décilisation est de créer des univers relativement homogènes, écologiquement unidimensionnels. L’idée est de " bloquer " une variable pertinente, par exemple la pratique religieuse, afin de " libérer " la variable classe sociale, ou vice-versa. Les univers unidimensionnels aussi créés sont les suivants : le décile le plus religieux ; le décile le plus irréligieux ; le décile le plus industrialisé ; le décile le plus agricole ; le décile le plus a gauche et celui le plus à droite.

France in Ten Sociological Slices : The Decilisation Method

This study aims to rehabilitate aggregative data analysis by showing that in certain conditions the ecological method (in the sense of social space) may be statistically and sociological pertinent. With the collaboration of D. Derivery, I adopted the canton as a unit of analysis (2450 cantons in total) and I have forged the concept of contextual reference space by calculating eighty-seven multiple regressions for as many départments. The decilisation method consists in the construction of statistical universes from territorial administrative divisions. The ten statistical slices take no heed of geographical contingencies. In doing so, we are liberating ourselves of the venerable electoral geography. The condition required for decilisation is to build homogenous, yet ecologically uni-dimensional, statistical units. The idea is to "freeze" one pertinent variable, like religious practice for instance, in order to liberate other variables like social class, or vice versa. The uni-dimensional ecological deciles built in this way are the following: the most religious decile; the most irreligious; the most indutrialized; the most agricultural; the most leftist and the most rightist. Nothing lies more than an average, said Proudhon. But, the average becomes valid when it is placed in its social context.