Table ronde 5

Les résistances à l’intégration européenne
Resistances to European Integration

Responsables scientifiques :
Olivier Costa (SPIRIT, IEP de Bordeaux) o.costa@sciencespobordeaux.fr
Paul Magnette (Université libre de Bruxelles) pmagnet@ulb.ac.be
Antoine Roger (IEP de Toulouse) antoine.roger@sciencespo-toulouse.fr
Sabine Saurugger (IEP de Grenoble) sabine.saurugger@iep.upmf-grenoble.fr


Résumés / Abstracts

Coordinateur : MAGNETTE Paul, Université Libre de Bruxelles
Discutant :  DELOYE Yves, Université Paris I

LACROIX Justine (Université Libre de Bruxelles)

L’Europe borderline. Frontières et territoire dans les oppositions intellectuelles françaises au procès d’intégration européenne

Dans la pensée politique française, la question du " lieu " se situe désormais au cœur de la contestation adressée à l’ensemble européen. On peut ainsi discerner deux courants intellectuels distincts dont les critiques se révèlent diamétralement opposées. Selon une première perspective, le " problème européen " serait d’abord celui de son absence d’incarnation. En se présentant comme un espace en extension indéfinie, l’Union européenne aurait renoncé à être un objet politique digne de ce nom. La difficulté soulevée par la construction européenne ne tiendrait pas tant à un transfert ou à une perte de souveraineté qu’à un sentiment de dissipation des limites du corps social et politique. C’est donc l’absence de territoire susceptible de conférer identité et sécurité qui serait au cœur des difficultés actuelles de la construction européenne. Une deuxième variante, proche de la gauche radicale, envisage, au contraire, l’Europe comme un espace où aurait pu s’opérer une démocratisation et une relativisation des frontières. D’où le désenchantement manifesté vis-à-vis des développements récents de la construction européenne. En restant étroitement indexée sur les citoyennetés nationales, la citoyenneté européenne perpétuerait " l’apartheid européen " - à savoir la privation des droits civiques des résidents n’appartenant pas aux nationalités fondatrices. Loin de relativiser les appartenances nationales, l’Europe, au contraire, ne cesserait de les consolider.

Bordeline Europe. Frontiers and Territory : The Case of the French Intellectuals’ Opposition to European Integration.

The question of the locus — i.e. a territory delineated by well defined frontiers — is at the core of the French theoretical interrogation over the democratic legitimacy of the European integration. Two distinctive intellectual trends have emerged whose approaches to the European models are diametrically opposed. For a first strand of thought, the " European problem " lies first and foremost in its disembodied nature. Europe presents itself, in its action and rhetoric, as an area in perpetual expansion, thus seemingly renouncing being a true polity. The difficulties attached to the European process would thus rest no so much on a transfer or a loss of sovereignty as in a more general feeling that the limits of the social and political body have become blurred. It is therefore the very absence of a territory conferring identity and security that would be the cause of the present difficulties in European construction. A second strand of thought, close to radical Left, conversely envisions Europe as a space in which the democratic process and the relativization of frontiers could have taken place. Hence a feeling of disanchantment when considering the latest development in European process. By remaining strictly defined by and attached to national identities, European citizenship would perpetuate the " European apartheid " denying civic rights to non-European residents. Far from relativizing national ties, Europe would rather further and reinforce them.


DELMOTTE Florence (Université Libre de Bruxelles)

La légitimité de l’Union européenne, une affaire de " bons sentiments " ? Réflexions sur la question de l’appartenance politique

Les débats suscités par le projet de traité constitutionnel ont révélé une évidence : à côté de l’opposition " souverainiste ", une critique " de gauche " entend dénoncer le caractère par trop libéral de l’approfondissement de l’union politique sans en récuser le principe. Cette distinction n’épuise cependant pas le problème des résistances à l’Europe. Elle ignore un phénomène plus diffus et pourtant tout aussi fondamental pour qui s’interroge sur la légitimité de l’Union : la faiblesse du sentiment d’identification ou de la conscience d’appartenance à celle-ci dans le chef d’une partie des citoyens cohabitant à l’intérieur de ses frontières.
Le thème n’est certes pas absent des grandes enquêtes réalisées au niveau européen. Mais si ces études nous renseignent sur la définition de l’Union et de ses valeurs par les sondés, elles ne permettent pas de savoir dans quelle mesure et sur quels modes les individus s’identifient à l’Europe. Et le recul manque pour apprécier la manière dont évoluerait la conscience d’appartenir à une entité en constante expansion et à l’histoire institutionnelle accidentée.
La sociologie historique des classiques — Marx, Durkheim, Weber, Simmel ou Elias — s’avère alors utile. Ni " pour ", ni " contre l’Europe ", leurs réflexions a priori datées sur les ambivalences et le caractère changeant de l’attachement à la communauté politique de type national viennent mettre une distance nécessaire dans l’appréhension d’un problème à l’originalité toute relative.

The European Union’s legitimacy — a matter of "the right feelings"? Some thoughts about political belonging

The debates triggered by the draft Constitutional Treaty have brought something obvious to light: Besides opposition from the "sovereignty" camp, a "leftist" line of criticism aims to denounce the overly liberal, i.e., free market, cast that has been given to the political union plan without impugning its principle. This distinction does not at all explain the problem of resistance to Europe. It ignores a more diffuse and yet just as fundamental problem for those who wonder about the European Union’s legitimacy, namely, the weak feelings of identification or awareness of belonging to the Union that are held by some of the people who live within its borders.
This theme is not absent from the major European surveys that have been conducted. However, while these studies provide information about the respondents’ definitions of Europe and its values, they give no measure of how and the extent to which individuals identify with Europe. Moreover, we lack hindsight to be able to determine how awareness of belonging to a constantly growing entity and its rocky institutional history might evolve.
The historical sociology of the classics — Marx, Durkheim, Weber, Simmel, and Elias — thus proves useful. Their at first glance dated thoughts about the ambivalent feelings and changing nature of belonging to a political community such as a nation provide the necessary distance for grasping a problem of highly relative originality.


CAUTRES Bruno (CEVIPOF - IEP de Paris) & MONCEAU Nicolas (IEP de Grenoble)

L’eurospecticisme face à l’adhésion de la Turquie à l’UE. Les opinions publiques européennes et turque

Dans les dernières années, la candidature turque a mis en relief de façon singulière les débats sur le déficit démocratique de l’Europe, dont témoignerait le décalage entre les décisions des élites politiques et les aspirations des citoyens européens. Parallèlement à la relance du processus d’intégration européenne de la Turquie, à la suite de l’ouverture des négociations d’adhésion en 2005, les sondages d’opinion mettent en évidence une forte opposition des opinions à l’adhésion de la Turquie à l’UE.
Comment expliquer les réticences, sinon l’hostilité, des citoyens européens face à la candidature turque et la montée d’un euroscepticisme en Turquie ? Quelles sont les logiques sociales et politiques qui structurent les attitudes à l’égard de l’Europe et plus particulièrement à l’égard de l’adhésion de la Turquie à l’UE ? Quel est le poids des contextes nationaux et des débats publics dans les variations des opinions à l’égard de la question turque ? Dans quelle mesure les grands modèles d’analyse des attitudes à l’égard de l’Europe sont-ils opératoires dans le cas de la Turquie ? Enfin, la question turque cristallise-t-elle la formation de tendances communes propres à l’ensemble des citoyens européens ou au contraire spécifiques à certains d’entre eux ?
Pour répondre à ces questions, cette communication s’appuyera sur les données des grandes enquêtes internationales (Eurobaromètres) ainsi que sur celles d’enquêtes nationales réalisées dans les Etats membres de l’UE et en Turquie.

In recent years, Turkey’s application for EU full membership highlighted in a specific way the debates on the European democratic deficit, which is caracterized by the shift between the political elites’ policies and the aspirations of the European citizens. In the framework of the acceleration of the Turkey’s European integration process, following the opening of accession negotiations in 2005, public opinion surveys reveal a general opposition to Turkey’s accession to the EU.
How can we explain the reluctances, or even the hostility, of the European citizens to the Turkish application and the growing euroskepticism observed in Turkey? What are the social and political logics which shape the attitudes towards Europe and in particular towards Turkey’s accession to the EU ? What is the influence of national contexts and public debates in the evolution of public opinions dealing with the Turkish issue ? To what extent the analysis models of attitudes towards Europe are operational in case of Turkey ? Last, does the Turkish issue crystallise common orientations among the European citizens or on the contrary specific orientations to some of them ?
In order to answer these questions, this paper is based on international surveys data (Eurobarometers) and on national surveys data carried out in the EU Member States and in Turkey.


SCHMIDT Vivien (Boston University)

Délibération publique et discours de légitimation dans l’Union Européenne

Malgré les différences dans les réponses des responsables politiques dans le Royaume Uni et en France à l’impacte de l’européanisation sur la démocratie nationale, leurs réactions ont un certain nombre de choses en commun. En première, ils doivent faire face à des défis institutionnels semblables. L’Union Européenne, en tant que régime politique ‘très composé’ dans lequel l’activité de gouverner est très dispersée à travers de multiple autorités, a été plus perturbant pour des régimes politiques ‘simple’ tel que le Royaume Uni et la France, où l’activité de gouverner a été traditionnellement menée par une seule autorité, que pour des régimes politiques ‘composés’ tels que l’Allemagne et l’Italie, où l’activité de gouverner a aussi été dispersée à travers des multiples autorités. Deuxièmement, les changements de pratiques de gouvernance qui en résultent se heurtent beaucoup plus avec les idées traditionnelles sur la démocratie au Royaume Uni et en France, qui siègent la légitimité dans une seule autorité, au lieu que dans le système politique en tant qu’entité, comme dans les régimes politiques composés. En fin, les responsables nationaux n’ont généralement pas généré de nouvelles idées et discours qui s’adressent aux nouvelles réalités européennes. Et ceci en dépit du fait qu’ils ont plus de capacité pour en parler à cause de la concentration d’autorité qui leur assure un discours de ‘communication’ au grand public plus élaboré, avec lequel ils sont plus capable de parler d’une seule voix et de transmettre un seul message. Le problème est que les responsables politiques dans le Royaume Uni et en France ont choisi de ne pas parler de l’Europe de manière qui légitimerait plus d’intégration européenne. Bien au contraire. Ce papier s’adresse aux comment et pourquoi.

For all the differences in political leaders’ response in Britain and France to the impact of Europeanization on national democracy, their reactions share certain things in common. First, they face similar kinds of institutional challenges. The European Union, as a ‘highly compound’ polity in which governing activity is highly dispersed through multiple authorities, has been more disruptive to ‘simple’ polities such as Britain and France, in which governing activity has traditionally been channelled through a single authority, than to ‘compound’ polities such as Germany and Italy, in which governing activity has also been dispersed through multiple authorities. Second, the resulting changes in governance practices clash much more with the traditional ideas about democracy in Britain and France, which focus legitimacy on a single authority, rather than on the political system as a whole, as in compound polities. Finally, national leaders have generally failed to come up with new ideas and discourse that reflect the new Europeanized realities, despite the fact that they have greater potential for speaking to this because their concentration of authority ensures them a more elaborate ‘communicative’ discourse to the general public, in which they are better able to speak in one voice and to convey a single message. The problem is that political leaders in Britain and France have not chosen to talk about the EU in ways that would legitimize further integration. This paper will explore how and why.

 

Coordinateurs : COSTA Olivier (SPIRIT - IEP de Bordeaux) & ROGER Antoine (IEP de Toulouse)
Discutant : HARMSEN Robert (Queen’s University, Belfast)

HEINE Sophie (Université Libre de Bruxelles)

Les résistances altermondialistes à l’Union Européenne : approche comparative des idéologies des intellectuels des mouvements Attac-France et Attac-Allemagne 

Mon objectif dans cette contribution est de comparer les résistances à l’Union européenne exprimées par les intellectuels des mouvements altermondialistes Attac-France et Attac-Allemagne. Cette approche comparative s’articulera en deux temps.
Il s’agira tout d’abord de comprendre les ressorts idéologiques des critiques exprimées par les intellectuels de ces deux mouvements, en s’intéressant en particulier à trois dimensions : leur rapport au libéralisme économique, à la question de la démocratie, et le référentiel identitaire dans lequel leurs critiques s’inscrivent —et plus précisément, leur rapport à l’identité nationale.
Par ailleurs, cette analyse me permettra de tester la pertinence de certaines idées fréquentes sur l’ " euroscepticisme ", à savoir, que celui-ci est un phénomène à la fois nationaliste dans son contenu et déterminé par les institutions nationales.

Alterglobalist resistances to European Union: comparative analysis of the discourses of Attac-France’s and Attac-Germany’s intellectuals

My purpose in this contribution is to compare the resistances to European Union expressed by Attac-France’s and Attac-Germany’s intellectuals.
First of all, I will try to understand the ideologies underlying the critiques expressed by those intellectuals, by focusing more particularly on three dimensions: their relation to economic liberalism, to democracy and the identity framework in which those discourses are carved —and more precisely their relationship to national identity.
Secondly, this analysis will allow me to test the relevance of some frequent ideas on "euroscepticism": that this is not only a nationalist but also a nationally-determined phenomenon.


JUHEM Philippe (Université Robert Schuman, Strasbourg), FERTIKH Kari (Université Paris I) & HÛ Grégory (IEP de Strasbourg)

L’expression des " résistances à l’Europe " dans les partis socialiste et sociaux démocrates en France et en Allemagne


CRESPY Amandine (Université Libre de Bruxelles)

La cristallisation des résistances de gauche à l’intégration européenne : les logiques de mobilisation dans la campagne référendaire française de 2005

Le champ de recherche sur les résistances à l’intégration européenne témoigne d’une dichotomie patente entre études sur les " partis eurosceptiques " et sociologie des mobilisations protestataires. Or, à travers la campagne française sur le Traité constitutionnel, on observe un phénomène de cristallisation des oppositions à l’Europe au sein de " la gauche ", entendue comme une constellation d’acteurs aux statuts divers (partis, syndicats, associations) : en effet, il apparaît que les critiques à l’égard de l’Union formulées (depuis les années 1980) par des acteurs contestataires ou marginaux au sein des champs social et politique furent portées par des acteurs centraux du jeu politique, comme en témoigne le schisme au sein du Parti socialiste. Pour mieux comprendre, à travers le cas français, les déterminants des mobilisations contre l’Europe au sein de la gauche, on propose d’utiliser des concepts issus à la fois de la sociologie des partis politiques et de l’étude des mouvements sociaux. En prenant le PS comme point de mire, nous considérerons les contraintes institutionnelles, les caractéristiques intra-organisationnelles et environnementales, ainsi que les interactions entre partis politiques et société civile. Si une analyse en termes de cristallisation peut nourrir la thèse de l’émergence d’un clivage européen, elle montre avant tout que les champs politiques et sociaux nationaux demeurent d’incontournables médiateurs au sein du système politique européen multi-niveaux.

The crystallization of resistance to European integration: drivers of mobilization in the French 2005 referendum campaign

The field of research about resistance to European integration displays a blatant dichotomy between studies of "eurosceptic parties" on the one hand and sociology of protest movements on the other. Actually, when considering the French campaign on the European constitutional treaty, we can observe a crystallization of opposition to the EU within "the left", understood as a constellation involving actors with differentiated status (parties, unions, associations, etc). Indeed, while criticism towards the EU had mainly been since the 1980s’ associated with protest or marginal actors, they were voiced this time by central figures of the political game, as accounted for by the schism within the Socialist party. Using concepts stemming from both sociology of political parties and studies of social movements should help to better understand the drivers of mobilization against the EU within the left. Having the PS as a focal point, we will consider institutional constraints, characteristics related to the PS internal organization and environment, as well as interactions between political parties and civil society. While an analysis in terms of crystallization might bring some evidence of an emerging European cleavage, we shall first and foremost reassert that national social and political spheres remain crucial mediators within the EU multi-level polity.


BOUILLAUD Christophe (IEP de Grenoble)

L’Italie des années 2000 toujours et encore europhile, ou comment " aimer bien celui qui vous châtie bien "

A en juger par les sondages d’opinion et le contenu de la grande presse, l’introduction de l’euro en Italie a été presque unanimement considérée comme une source d’inflation et même d’appauvrissement des classes moyennes salariées. Cependant aussi bien les forces d’opposition de centre-gauche que celles de la majorité de centre-droit se sont rejetées mutuellement la faute, en évitant de s’en prendre à Bruxelles. Toute tentative d’exploitation partisane de ce choc inflationniste en un sens eurosceptique ou antieuropéen, de la part de forces tierces extérieures aux deux grandes coalitions (l’ ’Olivier’ et la ‘Maison de la Liberté’) a semblé jusqu’ici voué à l’échec électoral, tant la loyauté civique des Italiens face au projet européen d’intégration semble rester immuable. Cette communication s’efforce ainsi d’expliquer le paradoxe italien d’une Italie malmenée par les règles de l’intégration européenne, et pourtant toujours en apparence satisfaite par le projet européen.

Italy at the Eve of the new Millennium, still Europhile, or "how to like the person which coerces you for your own good".

According to opinion pools and commercial press contents, introducing Euro in Italy has been unanimously considered as a source of inflation, and even of impoverishment of wage-earning middle classes. Still the forces of left-wing opposition and the forces of the right-wing majority have only attributed one another the responsibility of the disaster, and have chosen not to blame Bruxelles authorities about it. Any threat of a partisan use of this inflationary choc in an eurosceptic or antieuropean sense from third forces exterior to the two great coalitions (‘Ulivo’ and ‘Casa della Libertà’) seems to this point to lead to a complete electoral failure, since the civic loyalty of the Italians to the European project seems to stay immutable. So this communication tries to explain this Italian paradox of an Italy coerced by the rules of European integration, and still apparently satisfied by the European project.

 

Coordinatrice : SAURUGGER Sabine, IEP de Grenoble
Discutant : SUREL Yves, IEP Grenoble — IEP de Paris

GROSSMAN Emiliano (CEVIPOF — IEP de Paris)

La résistance comme opportunité : stratégies de l’exécutif français face à l’Europe

Dans la désormais abondante littérature sur l’Européanisation, les institutions politiques ont bénéficié d’une attention relativement faible, même si plusieurs publications récentes ont tenté de combler cette lacune. Elles concluent que l’intégration européenne a entraîné des pertes de prérogatives pour les gouvernements nationaux. Cependant, ces derniers ont souvent profité de l’intégration européenne pour renforcer leur position institutionnelle nationale.
En effet, même si la thèse du jeu à deux niveaux ne semble pas vérifiée pour le cas de l’Union européenne, les gouvernements restent indéniablement dans un position privilégiée entre l’arène politique national et la sphère européenne. Suivant le travail de Bruno Jobert, nous émettons l’hypothèse que c’est cette position privilégiée que le gouvernement va exploiter pour compenser la perte de prérogatives par une plus grande autonomie dans la gestion des politiques européennes en amont et en aval.
Nous examinerons cette thèse pour le cas de la France à partir l’utilisation de l’article 88-4, la mise en œuvre des directives européennes et, enfin, par la mise sur agenda gouvernementale. Le contexte institutionnel de la politique européenne en France est particulièrement favorable aux gouvernements. Ainsi, malgré de nombreuses réformes en apparence favorables au Parlement, le gouvernement a toujours pu et su les réinterpréter en sa faveur.

Strategic resistance: the French executive in the context of Europeanization

In the now abundant literature on Europeanization, political institutions have not received the same attention as other areas. Several recent publications have tried to make up for this. They tend to underline that European integration has led to a loss of power for national governments. Yet, the latter have often used European integration to strengthen their relative power within the national institutional context.
It has been argued that there are no true two-level games within the context of European integration. However, national government continue to be in a privileged position articulating the national political arena and the European political sphere. Following Bruno Jobert’s work, we argue that this privileged position will be used to compensate for power loss through increased control on European policies.
We test this thesis in the French case looking at the use of article 88-4, the implementation of European directives and through the analysis of governmental agenda control. All in all, the institutional context of European policymaking in France appears to be extremely favourable to governments. Therefore, despite a certain number of reforms strengthening the role of Parliament, government has regularly been able to reinterpret those reforms in its own favour.


MULLER Pierre (CEVIPOF — IEP de Paris) & RAVINET Pauline (CEVIPOF — IEP de Paris)

Une action publique européenne " résistante à l’UE " est-elle possible ? Réflexions à partir du processus de Bologne

Suite à l’appel de 4 pays (Allemagne, France, Italie, Royaume-Uni) en 1998, la déclaration de Bologne est signée en 1999 par les ministres en charge de l’enseignement supérieur de 29 pays européens qui s’engagent à coordonner leurs politiques nationales afin de construire à l’horizon 2010 un Espace Européen de l’Enseignement Supérieur (EEES) pour améliorer la mobilité et l’employabilité des étudiants européens, et la compétitivité internationale de l’enseignement supérieur en Europe, principalement à partir de l’introduction d’une structure des diplômes en deux cycles pré et post licence. Depuis, 44 pays sont engagés dans cette dynamique, reconnue comme le changement le plus important dans ce secteur depuis plusieurs décennies.
Ce processus intergouvernemental européen extra communautaire est un cas particulièrement intéressant pour analyser les mécanismes et les limites des résistances à l’UE dans le champ de l’action publique. Il ne s'agit pas d'étudier les résistances dans la mise en œuvre nationale et locale des objectifs de Bologne, mais de comprendre comment la résistance à l’UE, revendiquée comme fondatrice par les acteurs à l’origine du processus de Bologne, s’est révélée largement impossible, puisqu’on observe une coordination croissante entre initiatives communautaires en matière d’enseignement supérieur et processus de Bologne.
A ce titre, l'histoire du processus de Bologne permet également de réfléchir plus généralement sur les transformations de l’action publique européenne.

Following a first call to build a Europe of universities from the ministers in charge of higher education in France, Germany, Italy and the United Kingdom in 1998, the Bologna declaration was signed by the ministers of 29 countries in 1999. They engaged themselves to coordinate their national policies in order to build by 2010 a European Higher Education Area (EHEA), with the objectives to improve the employability and mobility of European students, as well as the international competitiveness of European higher education, mainly through the introduction of a two cycle degree structure pre and post bachelor. Since then, 44 countries got involved in this dynamics, which is now recognised as the major change process in the sector for the past decades.
This European -but extra EU- intergovernmental process is an interesting case for analysing the mechanisms of resistance to the EU in the field of public policy, as well as their limits. More precisely the perspective will not consist in analysing resistance mechanisms in the implementation of the Bologna objectives at national and local level. It will rather consist in showing that the actors at the origin of the Bologna process initially called for a resisting position vis à vis the EU institutions, which soon was revealed impossible to maintain. What can be observed is actually a growing coordination between the Bologna process and the EU initiatives in the field of higher education.
The Bologna process therefore appears as a significant case to develop a reflection on the transformation of public policies at the European level.


GENICOT Geneviève (IEP de Grenoble)

Mécontentement partagé mais résistance peu structurée Conditions de possibilité quotidiennes d’un mouvement étudiant européen face au Processus de Bologne

Le Processus de Bologne cause des résistances dans les 45 pays où il s’est vu implanté. On se souvient des mouvements français de 2003 apeurés par la privatisation, des cortèges italiens accusant le " 3+2 " de déstructurer l’Université, ou des revendications des Hautes Ecoles belges en 2004 contre une réforme bolognaise sous-financée. Le Bologna Black Book publié en 2005 par l’ESIB (European Student Information Bureau, interlocuteur étudiant officiel des institutions européennes) témoigne d’une même insatisfaction sur l’application de la réforme.
La résistance ne prend pourtant pas à ce jour la forme d’un mouvement étudiant européen, et reste diversifiée en fonction des Etats (qui appliquent Bologne différemment et à des moments différents) comme des niveaux d’action. L’étude s’est approprié cette diversité en observant la représentation étudiante sur 3 échelons (local, national et européen) et 4 pays (Belgique, France, Italie, Portugal).
Une étude intensive combinant 63 entretiens, des observations participantes d’une heure à 8 jours complets, et la filature des militants, a retracé le réseau européen de militance face à Bologne. Vivant avec les acteurs et partageant leurs cadres d’expérience quotidiens, nous avons pu appréhender leur perception variée de la résistance à l’Europe. L’ancrage contextuel et la vie des groupes expliquent la difficulté de faire naître une conscience européenne coordonnée et l’état actuel de la mobilisation — juxtaposition de soulèvements nationaux complétés d’un " chapeau " de lobbying européen.

The Bologna Process is provoking resistance in the 45 countries where it is implemented. Remember 2003 French movements against privatization, Italian demonstrations against the "3+2" reform or 2004 Belgian Hautes Ecoles’ claims for a better financing of the Bologna reform. ESIB’s Bologna Black Book published in 2005 (ESIB : European Student Information Bureau, EU official student interlocutor) is another evidence of the discontent regarding Bologna implementation.
However, resistance is not structured as a European student movement and remains diverse. Countries are implementing Bologna in different ways and at different times ; levels of militancy also induce diversity. The study fits this diversity, being spread on 3 levels (local, national and European) and 4 countries (Belgium, France, Italy, Portugal).
An intensive study combining 63 interviews, participant observation from 1 hour to 8 full days, and "tracking" of militants, allowed us to map the European students net against Bologna. Living with the actors and sharing their daily frames of experience, we could apprehend their diverse perceptions of resistance to Europe. Context anchorage and group life make clear the difficulties to make a coordinated European consciousness alive and explain the present-day state of mobilization — a juxtaposition of national protests completed by an European lobbying umbrella.


PASQUIER Romai (CRAPE — Rennes)

Les régions contre l’Europe ? La gouvernance multi-niveau en question

L’objectif de cette communication est donc d’analyser la résistance inattendue à l’Union européenne, celle venue d’acteurs régionaux traditionnellement perçus comme " alliés naturels " de la Commission européenne. En effet, à partir du milieu des années 1990, lassées de voir leurs intérêts spécifiques peu pris en compte dans les instances de l’Union européenne, plusieurs régions à pouvoir législatif prennent l’initiative de coordonner leur action afin d’orienter le futur de l’UE notamment dans la perspective du projet de Traité constitutionnel. C’est la naissance, en juin 2001 à Liège, de la Coordination des régions à pouvoir législatif (REG LEG) qui regroupe aujourd’hui 52 présidents de régions à pouvoir législatif en marge de la présidence belge de l’Union. Du fait du poids politique et économique de ses régions membres, REG LEG est devenu aujourd’hui un lobby territorial incontournable qui centre son répertoire d’action sur les " failles " de l’unification européenne : la forte centralisation des décisions et des compétences au niveau européen, un affaiblissement du rôle de l’Etat nation fédéral ou central qui se répercuterait inévitablement sur les compétences des régions à pouvoir législatif, des décisions technocratiques éloignées du citoyen, et une tendance à ignorer la répartition des compétences internes à chaque État pouvant conduire à des décisions empiétant sur les compétences législatives des régions. Ainsi, l’analyse de cette résistance régionale à l’Union européenne nous permettra de revisiter certains présupposés de la théorie de la gouvernance multi-niveaux.

The aim of my contribution is to analyse the resistance to the European Union coming from regional actors, traditionally considered as ‘natural allies’ of the European Commission. Indeed, since the mid of the 1990s, different legislative regions grew tired of their weak influence inside the European representative organisations and inside the EU institutions, decided to coordinate their actions. This is the birth, in June 2001, the Conference of European regions with Legislative Power (REG LEG). Sustained by the most powerful European regions REG LEG quickly emerged as a mayor territorial lobby and developed a critical analysis of the process of European unification pointing: the weakening of the role of the federal and central government and, in reaction to this, a temptation for it to recover its centralising power, the technocratic decision-making machinery remote from citizens and creating a deficit of the democratic control, the tendency to ignore each state’s internal distribution of responsibilities, which may lead to decisions being made which encroach on regions legislative responsibilities. In so doing, the analysis of this regional resistance to the EU will enable us to re-visit some presuppositions of the multi-level governance theory.


HERSANT Jeanne (EHESS — IEP de Bordeaux)

Contourner les normes européennes grâce… aux instruments européens. L’impératif de sécurité nationale ou les résistances à l’intégration européenne de la Grèce

L’adhésion de la Grèce à la CEE en 1981 a été voulue et promue par une élite nourrie de culture classique peu au fait des réalités politiques et sociales de la Grèce des années 1970. À une résistance ouvertement politique, jusqu’à l’adoption de l’Acte unique européen, s’est substituée une résistance de type institutionnel qui se traduit surtout par un contournement des principes tels que la libre circulation, au nom de la raison d’État — formulée en termes de " sécurité nationale " —, s’appuyant au besoin sur les instruments européens (normes juridiques, programmes financés par les fonds structurels).
Les dirigeants grecs ont fait en sorte, depuis les années 1990, de répondre aux injonctions européennes en matière de développement régional, de droits de l’homme et des minorités ; pourtant l’État grec maintient parallèlement une gestion de type sécuritaire de la Thrace occidentale, frontalière avec la Turquie, et de sa minorité " turque ", exemptée de l’échange de population de 1924. Trois exemples seront privilégiés : la mise sous tutelle administrative et politique de la Thrace dans le cadre de " l’Europe des régions ", le programme Horizon d’aide à l’installation en Thrace des réfugiés " ethniquement grecs " d’ex-URSS, et le " hors-texte " de la Directive 2003/109 du Conseil européen relative aux " ressortissants de pays tiers résidants de longue durée ", adoptée alors que la Grèce assurait la présidence tournante de l’Union européenne.

Getting round European Norms thanks to…European tools. National Security and Resistance to European Integration in Greece

In 1981, the accession of Greece to the EEC was prompted and promoted by elites who had been nurtured with a classical culture and who were rather disconnected from Greece’s social and political realities in the 1970s. With the adoption of the European Single Act, there has been a shift from an openly political resistance to a new form of resistance, based on institutional arrangements. If need be, leaning on and appealing to European tools — i.e. legal norms or programs sponsored by structural funds —, this kind of institutional resistance consists, paradoxically, in circumventing or bypassing principles such as free movement of people, which are reformulated to fit in the reasons of State, for instance in terms of "national security".
Since the 1990s, Greek leaders have responded and conformed to European commands in various domains, such as regional development or Human and minority rights. Yet, at the same time, Greece tends to promote a security management of Western Thrace — a region bordering Turkey — and to keep its "Turkish" minority — who was not concerned by the 1924 compulsory exchange of population between Greece and Turkey — under security rules.
Three examples will be unfolded to sustain our point: first, the Greek administrative and political supervision of Thrace in the framework of the "European regions’" development; second, the Horizon programme for the settlement of "ethnic Greek" refugees from former Soviet Union; and third, the "off-the-record" negotiation of the European Council’s Directive 2003/109/EC "concerning the status of third-country nationals who are long-term residents", which passed while Greece was in charge of the European presidency.