Table ronde 3

Etats démocratiques et reconnaissances de la "diversité". Analyse comparée du renouvellement du pluralisme politique

Responsables scientifiques :
William Genieys (CEPEL, CNRS UMR 5112/Université Montpellier 1) wgenieys@univ-montp1.fr
Hubert Peres (CEPEL, CNRS UMR 5112/Université Montpellier 1) hubert.peres@univ-montp1.fr

 

Sous des formes variées, les reconnaissances publiques de la ‘diversité’ abondent depuis peu, tant dans les discours politiques que dans la littérature des rapports officiels, sous la plume d'experts associés à la production et à la légitimation des politiques publiques. Ces usages récents sont fortement liés à "l'intégration" des populations issues de l’immigration. Plus précisément, on assiste, d'un côté, à la formulation d'un impératif de lutte contre les discriminations et, de l'autre, à des demandes de reconnaissance symbolique de la part de groupes se désignant comme des "minorités visibles" ou recourant à des modes d'identification liés à des caractéristiques culturelles ou bien aux "origines".

Ce phénomène tend à rapprocher les principes de légitimation d'un ensemble d'intentions et d'actions publiques de ce qui se passe par exemple en Grande-Bretagne, dont le supposé "multiculturalisme" puise sa source, au milieu des années 1960, dans la représentation d'un Etat devant faire face au défi de l'hétérogénéité ethnique et religieuse de sa population. Ou encore en Espagne, pays marqué dès les débuts de sa transition démocratique par la profusion des innovations institutionnelles, suscitées et légitimées par l’acceptation du pluralisme culturel et identitaire. Il ne faut évidemment pas exagérer l'ampleur de ces convergences. Ni les échanges académiques, ni les prises de position explicites des acteurs politiques, tant dans l'arène politique que dans les attendus de l'action publique, ne passent aisément, en France, du constat de la 'diversité' à la célébration de la 'multiculturalité' ou du 'multiculturalisme'. Dans le cas français, la force du rejet de principe "du" multiculturalisme (facilement assimilé au "communautarisme") et la timidité des solutions décentralisatrices (et plus encore, de leur légitimation identitaire) ne doivent pas faire oublier que, depuis déjà plusieurs années, dans certains secteurs, notamment à l’échelle locale, la gestion de la 'diversité' est un objet de préoccupation des politiques publiques. Ou encore, que la représentativité des partis politiques est de plus en plus souvent mise en cause au nom de la sous-représentation de catégories de la population définies par des caractéristiques de genre, de couleur, ou d'origine.

Mais la convergence emprunte également la direction inverse. Toute une série d'évènements récents ont conduit à remettre en question, en Grande-Bretagne, l'insistance sur la diversité culturelle au détriment de ce qu’un rapport retentissant appelle la "cohésion de la communauté". De manière ambivalente, un grand nombre de pays sont donc confrontés à la remise en question de la démocratie libérale en tant que régime censé assurer un traitement équitable aux individus revendiquant à la fois une citoyenneté commune et des appartenances distinctives. Le paradigme de la 'diversité' bouscule ainsi les conceptions du pluralisme dont Robert Dahl considérait déjà que son interprétation a conduit à une sous-estimation persistante de la force durable des solidarités résultant des sous-cultures qui représentent la religion, les régions, les groupes ethniques, les races et le langage.

L'approche privilégiée par la table ronde est fondamentalement transversale. La question posée oblige à s'interroger sur les interactions entre les théories de l'Etat et l'histoire des constructions étatiques tout en convoquant la sociologie des mobilisations et de la représentation, ainsi que l'étude des structures politiques et de leurs transformations, ou encore l'analyse des politiques publiques.

Session n°1 : Médiations politiques et politiques de l'identité

La représentation démocratique d’identités spécifiques transcendant les clivages socio-économiques soulève un grand nombre de questions assez peu étudiées jusque-là. Par exemple, quelles formes de participation (partis politiques, mouvements sociaux, militantisme associatif, expertise, groupes d'intérêt) sont-elles activées pour s'imposer en représentant de groupe supposé titulaire de droits dans l'espace public au nom de l'impératif de reconnaissance de la 'diversité' ? Pourquoi un groupe donné est-il susceptible de conserver, d'alterner ou de cumuler les canaux par lesquels il formule sa revendication ? Quelles arènes sont-elles investies pour porter la revendication ? Quelles sont les conditions politiques, sociales, culturelles définissant les structures d'opportunité qui assurent la réussite ou l'échec des mobilisations et des stratégies revendicatives ? Il conviendra également de s’interroger sur le rôle des élites et des partis politiques en tant que reflets, vecteurs, voire promoteurs, des demandes politiques relatives à la reconnaissance de la 'diversité'.

Session n°2 : Institutions, action publique et traitement politique de la 'diversité'

Le traitement de la 'diversité' peut être saisi à travers les réformes institutionnelles et les programmes d’action publique qui ont été élaborés parfois bien avant l'apparition du thème dans les discours politiques. Il y a en réalité bien longtemps que les politiques publiques françaises s’ajustent à différents niveaux, et selon des procédés variés, à la 'diversité' consécutive à l'immigration. Peut-on en conclure que le discours actuel de la 'diversité' légitime, a posteriori, ce qui se pratiquait jusque-là ? Existe-t-il une réelle convergence de l'action publique saisie par la 'diversité' dans différents Etats européens ? Par ailleurs, il est essentiel de s'interroger sur la façon dont les politiques publiques se préoccupent, ou non, d'identifier, voire de mesurer, les segments de population dont la coexistence est présumée par le paradigme de la 'diversité'. Une attention particulière devra être portée à la territorialisation de l’action publique et aux réformes institutionnelles qui ont facilité le traitement, de nouvelles formes de 'diversité'. Enfin, dans quelle mesure la capacité de certains groupes d’élites à faire valoir leur approche sectorielle de l’action publique ne conduit-elle pas à une restriction du pluralisme politique allant à l'encontre du souci affiché de prendre en compte la 'diversité' des populations concernées ?

Session n° 3 : Les controverses du multiculturalisme : dilemmes théoriques et contextes nationaux

Les références au "multiculturalisme" dans les débats publics renvoient à des controverses philosophiques dont le contenu est très souvent appauvri et retravaillé par des cadres d'interprétation révélateurs des idiosyncrasies nationales. Une clarification des rapports entre les approches multiculturalistes et les fondements libéraux de l'Etat démocratique semble donc indispensable, dans le souci d'une analyse comparative des contextes historiques et culturels d'élaboration et de réception de ces approches. Trois lignes d'investigation nous paraissent devoir être privilégiées. La première pose le problème de la relation entre l'individu, ses groupes d'appartenance assignés ou choisis, et la citoyenneté comme mode de participation raisonnée à une communauté politique englobante. La deuxième renvoie aux relations entre la communauté politique incarnée par l'Etat et la (ou les) communauté(s) nationale(s). Comment penser les relations entre identité nationale, pluralisme identitaire et citoyenneté démocratique ? La troisième a trait à ce que l'on pourrait appeler la diversité de la diversité. Les identités groupales censées composer une société "multiculturelle" sont de nature très différentes. Peut-on penser conjointement, et avec quelles limites ou contradictions, l'invocation des droits des "minorités nationales" et de ceux des immigrants ?

 

Round table 3 : Democratic states and recognition of diversity. The renewal of political pluralism in comparative perspective

All democratic states are now facing the challenge of recognition of cultural and ethnic pluralism. Even in France, where the so-called and deeply rooted " Republican model " was supposed to dismiss any public claim based upon ethno-cultural identities, times are changing. In the last few years, many political statements, as well as official reports or works by academics involved in the conception of public policies, have emphasized the current importance of "diversity" (a word usually ill-defined) as a major social feature.

Basically, such a rethinking of French self-representation must be related to the apparition of discrimination issues at the forefront of the political agenda. Nowadays, partly due to new political movements and their attempt to mobilize on the basis of common origin or ethnic belonging, the idea is widely spread that egalitarian citizenship is no longer a guarantee of non discriminatory treatment for second and third generation persons of immigrant origin. But one could also say that, for a long time, a number of local and sectorial policies have proved not to be so "colour-blind" as it seemed. Moreover, a slight change in the perception of the place of regional languages in public life is occuring. Despite this new, and sometimes old but hidden, salience of some kind of ethnicity, and, therefore, the renewal of the problematic of pluralism, neither French politics nor French public policies consider "multiculturalism" as a politically correct umbrella. But, at the same time, in other European countries traditionally keener on cultural pluralism than France, multiculturalism and the accommodation of distinctive public identities are coming under intense scrutiny.

That is why we can now envisage to include France and, for example, Spain, the UK, or the Netherlands, in the scope of a comparative analysis of politics of identity and management of ethnocultural diversity. The session will be organised in three panels focusing on the following complementary issues:

- Political Mediation and Politics of Identity: Elites and Parties Facing Ethnocultural Claims.

- The Management of Ethnocultural Diversity through Institutions and Public Policies.

- The Debate over Multiculturalism: Philosophical Dilemmas in National Contexts.