Table ronde 5

Les résistances à l’intégration européenne

Responsables scientifiques :
Olivier Costa (SPIRIT, IEP de Bordeaux) o.costa@sciencespobordeaux.fr
Paul Magnette (Université libre de Bruxelles) pmagnet@ulb.ac.be
Antoine Roger (IEP de Toulouse) antoine.roger@sciencespo-toulouse.fr
Sabine Saurugger (IEP de Grenoble) sabine.saurugger@iep.upmf-grenoble.fr

 

Cette table ronde a pour première ambition de "jeter un pont" entre la recherche sur les transformations "nationales" et les "études européennes". Nous proposons par ailleurs d’étudier la face cachée de la construction européenne, à savoir les résistances des sociétés européennes à l’intégration. Nous pensons, en effet, qu’analyser les attitudes hostiles vis-à-vis de l’intégration européenne en les englobant sous le seul concept d’"Euroscepticisme" est souvent trompeur, une telle démarche réduisant le champ d’analyse — en négligeant des résistances inorganisées - et induisant implicitement un jugement négatif. Pour éviter ce biais, nous partirons des manifestations visibles des résistances à l’intégration et viserons une reconstruction théorique ex-post, à finalité typologique et explicative. Les phénomènes de résistance seront étudiés sur les trois plans principaux du politique : les représentations sociales de la légitimité, les mobilisations collectives et l’action politique.

Une première session sera consacrée à la question de la légitimité politique dans l’intégration européenne (coordination : Paul Magnette). Nous tâcherons d’y réfléchir à la façon dont les conceptions de la légitimité ont été, dès le début du processus d’intégration européenne, bousculées par une " méthode communautaire " qui devait peu aux doctrines " classiques " de gouvernement. Le volume des décisions prises au niveau européen a érodé la légitimité des démocraties nationales, sans permettre à l’ensemble européen d’acquérir une légitimité démocratique qui soit reconnue en tant que telle. Des concepts fondamentaux tels que ceux de " démocratie ", de " citoyenneté ", de " nation " ou de " république " sont dès lors au centre d’un débat qui mêle la dimension nationale et la dimension européenne. Les réactions suscitées par le procès de changement social interagissant avec l’analyse politique, nous nous concentrerons sur l’échange permanent entre discours intellectuel et mobilisation politique. En focalisant l’analyse sur ces influences mutuelles, cette démarche visera à intégrer la théorie politique et la sociologie politique, en particulier la sociologie des intellectuels. Ces deux approches restent, jusqu’ici très cloisonnées, les débats théoriques tenant peu compte du contexte sociopolitique et les analyses des mobilisations s’interrogeant peu sur les convergences des registres discursifs savants et profanes. L’échange des idées et des résultats empiriques entre les deux volets de la recherche doit permettre d’aboutir à une interrogation cohérente. Les cas sélectionnés porteront sur les représentations de la légitimité portées par les élites sociopolitiques traditionnelles (élus, haute fonction publique), mais aussi sur les acteurs qui peuvent être considérés comme producteurs et/ou diffuseurs d’un discours de légitimité. Comment les théoriciens du droit ou de la politique conceptualisent-ils l’interaction entre la politique nationale et l’Union européenne, comment ces représentations sont-elles diffusées dans l’espace de la communication politique (et comment, en amont, sont-elles influencées par le débat public) ?

Une deuxième session aura pour objet les mobilisations et les partis politiques qui entendent résister à l’intégration européenne (coordination : Olivier Costa et Antoine Roger). Elle visera à préciser l’articulation entre l’hostilité envers l’intégration européenne qu’affichent certains acteurs partisans et les orientations des électeurs dont ils se réclament. Deux orientations théoriques sont habituellement invoquées. Une première possibilité consiste à appréhender l’articulation sur le mode bottom-up, en raisonnant en termes d’alignements électoraux. Le postulat est qu’un électorat opposé à l’intégration européenne est structuré de façon autonome et spontanée, pour la raison que ses intérêts spécifiques lui semblent menacés. Certains acteurs partisans tentent de s’ajuster à ce positionnement. La question posée est alors de savoir si l’électorat hostile à l’intégration européenne développe les mêmes intérêts d’un pays membre à l’autre. On peut opposer à ce point de vue une approche top-down, qui met l’accent sur les stratégies de démarcage développées par les appareils partisans. L’hypothèse centrale est ici que certaines formations politiques adoptent des positions hostiles à l’intégration européenne pour se distinguer de leurs rivales et séduire ainsi un électorat flottant, incapable de formuler spontanément un jugement sur l’intégration européenne. L’interrogation porte sur les techniques de mobilisation électorale. Des récurrences et des variations sont cherchées dans les choix opérés par les acteurs partisans. Il est possible d’envisager un dépassement de cette alternative et de concevoir un principe d’articulation intermédiaire : il s’agit alors d’étudier les mobilisations contre l’intégration européenne extérieures aux formations politiques et de préciser la façon dont elles peuvent être captées par - ou canalisées vers - les mécanismes de participation conventionnels.

Une troisième session se concentrera sur l’action politique (coordination : Sabine Saurugger). Son objectif sera de remédier à un déséquilibre : tandis l’influence de l’intégration européenne sur l’action et les politiques publiques nationales prend une place de plus en plus importante dans l’étude du processus d’intégration, les résistances ou le rejet de cette intégration sont plus rarement étudiés. Les exemples ne manquent pourtant pas aussi bien dans les domaines économiques (l’Union économique et monétaire), que dans les secteurs culturels ou politiques (politiques de libéralisation, exception française). Dans ce contexte, les questions classiques liées à l’analyse de l’Etat, à savoir l’autorité, la capacité d’arbitrage, mais aussi l’efficacité, prennent une importance particulière. Les arènes de l’action publique et des politiques publiques se transforment : dans un système davantage multi-niveau, les veto points et veto players se multiplient. Il s’agira d’une part d’entamer un processus de réflexion sur le fonctionnement de l’action et des politiques publiques nationales (régionales et locales) qui, au lieu de s’adapter ou de s’ajuster, rejettent en bloc ou en partie les cadres juridiques ou idéels qui émanent de l’Union européenne. Plus précisément, nous tâcherons de comprendre comment les acteurs au niveau national rejettent et de quelle manière ils contournent les normes juridiques et cognitives communautaires. Existe-t-il des différences entre les domaines d’action publique quant à ces résistances ? D’autre part, nous proposerons des études relatives aux mécanismes décisionnels qui se développent au niveau communautaire afin de minimiser l’impact de l’intégration européenne sur les politiques nationales. Dans quelle mesure la "dilution" de l’intégration européenne, souvent diagnostiquée depuis le Traité de Nice et l’invention de nouvelles méthodes décisionnelles, le plus souvent moins contraignantes, peuvent-elles être considérées comme un rejet de l’intégration européenne? La méthode ouverte de coordination (MOC), les méthodes de benchmarking ou de best practices pourront être analysées sous cet angle. Nous invitons les participants à insister en particulier sur les mécanismes du transfert et du rejet - les instruments aussi biens coercitifs que volontaires, tels que les normes juridiques et idéelles, les discours, les idées, les logiques fonctionnalistes, les mécanismes de délibération que les auteurs mobilisent afin d’éviter la "greffe" communautaire.

Round table 5 : Resistances to European Integration

This roundtable aims at building a bridge between research of "national" transformations and "European studies" by analysing the resistances of European societies to integration. As the use of "euroscepticism" as a concept is problematic, we intend to attempt an ex-post theoretical reconstruction to typological and explanatory ends by using the visible manifestations of resistances to integration. These resistance phenomena will be studied from three different angles.

The first session will focus on the issue of political legitimacy in European integration (coordinator: P. Magnette). The aim is to reflect on how the conceptions of legitimacy have been changed by a "méthode communautaire" that owed little to the classical doctrines of government. To this end, the analysis will focus on the interactions between intellectual discourse and political mobilisation by using both political theory and political sociology approaches. We will focus both on the representations of legitimacy used by the traditional socio-political elites and on the actors that produce and spread a discourse of legitimacy.

A second session will centre on the mobilisations and political parties who intend to resist to European integration (coordinators: O. Costa and A. Roger). It will aim to specify the articulation between the attitudes of partisan actors and the orientation of the voters they claim to represent. The ambition of this session is to go beyond the alternative between bottom-up approaches that focus on electoral alignments and top-down approaches that centre on the strategies of differentiation of political parties.

A third session will reflect on political action (coordinator: S. Saurugger). Whereas the study of the influence of European integration on national action and public policies is very rich, the phenomena of resistance or of rejection are very rarely studied. The aim is then, on the one hand to start reflecting on the way the actions and public policies that reject the legal or idea framework stemming from the Union work and on the other hand, to study the decision-making mechanisms that are developed at the European level in order to minimise the impact of European integration on national policies.