Hommage à Jean-Philippe Lecomte (1968-2011)

L'Association Française de Science Politique a appris avec beaucoup de tristesse la décès le 12 mai de Jean-Philippe LECOMTE, diplômé de l'IEP de Paris et maître de conférences à l'Université François Rabelais. L'Association partage la douleur de sa famille, de ses amis et de ses collègues de l'Université de Tours.

Par Pierre Favre

L’annonce de la mort de Jean-Philippe Lecomte, dont j’ai dirigé la thèse, me peine profondément et je voudrais lui rendre hommage en évoquant quelques aspects de son parcours. D’autres collègues diront son engagement professionnel à Tours et sa préoccupation constante pour notre discipline, notamment en tant que matière d’enseignements. La direction de sa thèse sur les fonctions sociales du service militaire en France, dont il avait formé le projet en septembre 1995 après son Troisième cycle à Sciences Po., a été pour moi singulière. Ses recherches progressaient normalement quant, en 1998, il tombe gravement malade et perd toute capacité à travailler. Sa situation financière devient dans le même temps catastrophique. Mais il surmonte la maladie, non sans de longues rechutes qu’il mentionne avec discrétion. Il ne se laisse pas arrêter par les lourdes difficultés matérielles qui l’empêchent par exemple de venir à Paris. Sa volonté est inébranlable, et m’écrit ainsi en juin 2000 : « comme il n’est pas plus envisageable de capituler qu’il y a deux ans, le travail continu sans être trop entravé ». Nous travaillerons effectivement ensemble, et beaucoup, sans nous rencontrer, en échangeant d’immenses mails, en nous téléphonant, en faisant faire des aller et retour postaux aux chapitres qu’il rédige. Jean-Philippe Lecomte m’impressionne alors par une puissance de travail et une capacité d’écriture stupéfiantes. Sur son terrain historique qui va de 1868 à la fin du service militaire après 1996, il dépouille tout, les débats parlementaires et les discours politiques, les écrits antimilitaristes et les programmes politiques, les « romans militaires » et les vaudevilles, les chansons... Il va jusqu’à consacrer une vaste étude au comique troupier dont il décrypte habilement le sens. Un souvenir me restera toujours présent : une semaine avant la date prévue de remise de la thèse au secrétariat de Sciences Po., il m’annonce qu’il doit encore écrire un chapitre qui lui tient à cœur. Je tente de l’en dissuader, je lui dis qu’il pourra rédiger ensuite un article sur ces questions, que l’urgence est ailleurs… Il n’en démord pas et m’envoie dans les jours suivants le texte dense et profond qui clôt sa thèse : « La violence, la mort, la guerre ». Jean-Philippe soutiendra en 2001 une thèse monumentale devant un jury composé de Jean Leca, Yves Déloye, François Gresle et Pascal Vennesson. La thèse est monumentale par la taille, qui aurait dépassée les 1000 pages s’il n’avait pas réduit la police de caractères, elle est étourdissant par son érudition et exceptionnelle par la richesse et l’originalité des idées, puisqu’il y soutient, contrairement à l’idée commun, que le service militaire n’a presque aucune des fonctions sociales qu’on lui prête. Le résultat est une véritable somme sur une institution étrangement peu étudiée en science politique. Ce travailleur infatigable publiera quelques années plus tard le fort volume de son manuel de sociologie politique (Gualino éditeur, 2005) dont j’ai encore récemment conseillé la lecture à qui veut avoir une vue précise et parfaitement maîtrisée de ces aspects classiques de la discipline enseignés en premier cycle. Jean-Philippe y témoigne de qualités pédagogiques là encore exceptionnelles, et d’une capacité remarquable d’intégrer dans un enseignement les avancées récentes de la recherche. Sa disparition précoce nous est douloureuse.