Colloque "L'individu libéral est-il transparent? Concepts et pratiques"
30 et 31 mars

Université de Rennes 1 (UFR de philosophie et IEP Rennes).


PROGRAMME


LUNDI 30 MARS (BATIMENT 32B, UFR DE PHILOSOPHIE, CAMPUS DE BEAULIEU)


Accueil 09h45

MATIN : FONDEMENTS PHILOSOPHIQUES DE LA TRANSPARENCE DANS LE LIBERALISME 10H-12H30

10h00 F. Calori : Transparence et publicité chez Kant.

Abstract : Kant fut l’un des premiers penseurs à faire de l’exigence de publicité une pièce essentielle de sa philosophie politique et de sa philosophie du droit. On sait aussi quelle importance tient, dans sa réflexion morale, la condamnation radicale du mensonge et l’exigence de sincérité. Mais tout aussi célèbre est l’insistance qu’il marque à retirer au sujet toute possibilité de transparence de soi à soi, notamment dès qu’il s’agit de son intention morale fondamentale. Il s’agira d’interroger à nouveau ces trois dimensions cruciales de sa philosophie pratique, et surtout de penser leur articulation, afin de déployer, dans toute son extension et sa complexité, la thématique de la “transparence” dans l’oeuvre kantienne.

10h45 M. Bozzo-Rey : Panoptique, publicité et transparence chez Jeremy Bentham : l'émergence d'une nouvelle norme ?

Contrairement à la lecture foucaldienne, le panoptique benthamien n'est pas simplement un principe architectural à l'œuvre dans les prisons. Il convient en effet d'identifier au moins trois autre panoptiques qui ont fait l'objet d'analyses conséquentes sous la plume de Bentham : le panoptique des pauvres, le panoptique chrestomatique et le panoptique constitutionnel. Nous nous attacherons ici à ce dernier en montrant tout d'abord qu'il ne se limite pas à un principe d’agencement des bâtiments et des personnes : il s'agit bel et bien d'une architecture théorique qui soutient le droit constitutionnel élaboré par Bentham. Ensuite, il nous faudra nous interroger sur l'exigence pratique qui prend corps dans la loi de publicité telle que Bentham la définit dans Political Tactics. Celle-ci, au-delà de la définition stricte et précise des procédures parlementaires redéfinit les relations à l'oeuvre dans la sphère publique. La relation dynamique entre gouvernants et gouvernés qui traverse l'oeuvre benthamienne semble devoir alors se soumettre à l'exigence de la transparence. C'est donc cette dernière que nous interrogerons en dernier lieu afin d'envisager les conséquences de sa constitution comme norme qui pourraient n'être rien de moins que l'émergence d'un sujet politique et juridique.

Pause

11h45 M. Bessone : L’exigence de transparence pour les partenaires contractants, de Rousseau à Rawls

Le libéralisme contractualiste repose sur une ambiguïté constitutive : les partenaires contractants, en tant que volontés libres et rationnelles, sont mobilisés lors du contrat comme personnes transparentes, cadres vides porteurs de droits et accessibles tous de manière égale, en toute impartialité, à la même argumentation rationnelle. Les circonstances objectives du contrat ont pour visée d’assurer cette transparence comme similitude requise des membres d’une société juste. Mais d’un autre côté, ces caractéristiques du « citoyen » ou du « partenaire » n’existent que par une modification fondamentale des individus naturels qui a pour objet de les rendre opaques à eux-mêmes dans leurs particularités. Comment une transparence intersubjective peut-elle résulter d’une opacité réflexive ? C’est à dénouer ce paradoxe que cette intervention sera consacrée.

12h30 Déjeuner

APRES-MIDI : DES INSTITUTIONS TRANSPARENTES 14H30-17H00

14h30 T. Berns : Genèse de l'idéal de transparence à partir de la préhistoire de la statistique.

A partir du discours politique ayant permis le développement des premiers projets de recensement (XVI-XVIIes siècles), et en me concentrant en particulier sur les enjeux moraux et théologiques de ceux-ci, je tenterai de cerner quelques dispositifs permettant de "gouverner sans gouverner", en amont de la tradition libérale.

15h15 C. Nadeau : Transparence et justice transitionnelle : La transparence comme condition de la démocratisation

Les périodes transitionnelles qui suivent les conflits armés posent d’importants problèmes d’articulation entre les besoins de justice, de pacification et de démocratisation. C’est sur ce dernier point seulement que nous nous attarderons dans le cadre de cette communication. Il s’agira de voir d’une part, quels sont les objectifs de la transparence dans un contexte transitionnel où les institutions ne sont pas encore stabilisées, d’autre part, quels sont les écueils possibles à la transparence et la manière dont nous pouvons répondre à ces problèmes.

Pause

16h15 M. Foessel : Un désir de transparence ?



MARDI 31 MARS (IEP RENNES)

MATIN : NORMES DE TRANSPARENCES INDIVIDUELLES 09H30-12H00

09h30 C. Le Bart : la transparence à soi-même dans les sociétés contemporaines

Les sociétés contemporaines ne cessent de formuler auprès des individus des injonctions à la recherche de soi, à la quête de l'authenticité, à la réflexivité identitaire. Longtemps élitiste, l'injonction "connais-toi toi même" tend à devenir une norme. Le néocapitalisme en a fait un marché (par exemple les livres dits de "développement personnel"), les médias encouragent les projections identitaires, la vie sociale en général tourne autour du droit  donné (ou du devoir imposé ?) à chacun d'être lui-même, de se chercher au fil d'expériences identitaires multiples. On formulera ici l'idée que la transparence à soi-même (le fait de savoir qui on est /vraiment/) constitue un mythe propre à notre époque. Nous tenterons d'illustrer ce mythe, d'en cerner toutes les facettes, et d'en mesurer les effets sociaux.

10h15 J.-F. Kerléo : L’individu libéral, un alibi de la transparence juridique

La notion de transparence est présentée comme une garantie pour l’individu-citoyen, un rempart contre les coups portés à la démocratie. Elle permet un élargissement des règles de publicité et d’accès au droit. Elle a également contribué à un changement de vocabulaire significatif : les termes d’usager du service public et d’administré ont laissé la place à celui de citoyen.
Mais, en réalité, l’individu ne constitue qu’un alibi pour la notion. Le lien entre l‘individu et la transparence n’est qu’une création artificielle dont l’objectif est d’auréoler la transparence de connotations positives. Ces dernières masquent alors toute l’ambiguïté de la transparence. Tout d’abord, la transparence n’incarne pas de nouveaux droits pour les citoyens mais bien plutôt de nouvelles obligations qui pèsent sur les institutions. En ce sens, elle est auto-référentielle. Ensuite, la transparence porte sur le langage du droit (intelligibilité et clarté de la loi). Elle est un moyen efficace de colporter des valeurs qui constituent l’identité des individus, leur assimilation étant la condition pour devenir un citoyen. Lorsque le droit garantit l’accès aux documents administratifs, c’est une manière pour le droit de renvoyer aux citoyens l’image qu’il se fait d’eux, de leur transmettre ce qu’ils sont : le citoyen est alors l’objet, la créature du droit.
En définitive, les connotations positives de la transparence permettent aux gouvernants d’agir dans n’importe quel sens sous couvert de démocratie et de protection de l’individu. Or, la notion de transparence modifie quelque peu la vision libérale du droit dans la mesure où elle permet de plus en plus une immixtion de la sphère publique dans le domaine privé des individus et accorde aux acteurs juridiques des pouvoirs plus importants.

Pause

11h15 A. Quin : Transparence, liberté et responsabilité dans les relations d’affaires,
Analyse des obligations juridiques des dirigeants d’entreprise et des banquiers

Il s’agit de rechercher comment le concept de transparence, à travers les obligations qu’il implique (obligations d’information, de mise en garde) est de nature à :
-    transformer l’exercice de la fonction de chef d’entreprise ou de banquier en réduisant sa sphère de liberté individuelle, constitutive d’un pouvoir, au profit de sa soumission à un ensemble de normes de comportement ;
-    constituer une clé de répartition des risques et des responsabilités entre les acteurs économiques (entreprise/investisseur, banque/emprunteur…). Favorisant la liberté de choisir, les obligations juridiques résultant du concept de transparence permettraient en effet de limiter la responsabilité des entrepreneurs et de responsabiliser leur cocontractants (investisseurs, emprunteurs…), et ainsi de concilier la liberté d’entreprise et la loyauté des échanges.

Déjeuner

APRES-MIDI : DE LA TRANSPARENCE SUPPOSEE DE QUELQUES ACTEURS CLEFS 14H-16H00

14h00 R. Crespin : De la surveillance au soupçon : les registres de la transparence dans l'usage des techniques. Le cas du dépistage des drogues des salariés américains.

A partir d’une analyse des conditions de diffusion et de régulation des instruments de dépistage des drogues aux Etats-Unis, cette contribution s’intéresse aux différentes modalités de déploiement de l’exigence de transparence dans les relations de travail. Utilisé à des fins d’authentification et de sélection, le dépistage vise à rendre les salariés transparents à leurs employeurs selon une finalité essentiellement utilitariste. Toutefois, l’analyse des types de savoirs mobilisés pour justifier le recours à ces instruments ouvre une question plus large sur les différentes rationalités qui sous-tendent le dépistage. Face à la diversité des programmes adoptés, les salariés et les syndicats ont contesté les politiques de dépistage au nom du respect des libertés individuelles (protection de la vie privée). Portées par une exigence de transparence des finalités et des procédures techniques mise en oeuvres, ces contestations ont paradoxalement conduit à généraliser le dépistage dans les entreprises américaines et à en consacrer une approche individualisante fondée sur le soupçon.

14h45 M. Brandewinder : Les consultants médias ou comment situer la transparence de l’individu qui libéralise.

Cette communication se propose d’étudier l’individu libéral en consultant médias. Les consultants dont il sera question sont ceux dont l’activité consiste à opérer, moyennant finances, un transfert de compétence au profit des entreprises de médias dans le but d’améliorer les performances de celles-ci : consultants en stratégie éditoriale ou financière, en organisation, études, designers…
Le discours de la transparence de l’intervention de conseil conçue comme une maïeutique est associé chez ces praticiens à celui de la normalisation des entreprises de médias via ce qui peut au moins en partie s’interpréter comme leur libéralisation. Il ne s’agit pas ici d’opposer le discours de la transparence et du libéralisme à l’opacité de la « réalité », mais de montrer que libéralisme et transparence prennent un sens variable pour les différents types d’agents impliqués dans le processus de conseil. L’approche par une sociologie empirique, qui cherche des racines aux discours et aux actions dans les positions sociales, permet alors de critiquer ces notions en les situant donc en les relativisant. 

Conclusion générale du colloque

 
Contacts: Magali Bessone magali.bessone-luquet@univ-rennes1.fr
Renaud Crespin, renaud.crespin@yahoo.fr