Bertrand
Badie, Le diplomate et l'intrus, l'entrée des sociétés
dans l'arène internationale, Paris, Fayard, 2007
Dès
qu'il est question de diplomatie, individus, groupes sociaux, peuples ou sociétés
sont tenus pour des intrus.
La scène internationale a longtemps résisté à cette
conquête sociale et, encore aujourd'hui, les non-professionnels n'y sont
pas les bienvenus. Domaine réservé, domaine du secret, dernier
bastion de la raison d'Etat, une telle arène n'a pas à accueillir
l'homme ordinaire ; tout juste a-t-il le droit d'apparaître en soldat,
mais dans un rôle de stricte obéissance et de total sacrifice.
Tout acteur extra-étatique n'est que contrefaçon et maléfique
perturbateur de l'acte de chirurgie diplomatique, tenu pour technique et non
pas social.
Le fait international est comme socialement immaculé. Mais cela revient
à occulter l'extraordinaire vitalité internationale des sociétés,
leur aptitude à entrer sur la scène internationale, à en
définir les enjeux et à en structurer les conflits ; à
dissimuler les chaînes causales qui rattachent l'international au social,
à sa structure et à ses acteurs ; à négliger les
actes internationaux commis par ceux-ci et leur aptitude à s'insérer,
parfois avec davantage de succès, dans les modes nouveaux de résolution
des conflits.
Qui pourrait nier qu'avec la mondialisation la diplomatie attire de plus en
plus de partenaires, économiques, culturels, religieux, associatifs dont
on dit, de plus en plus, qu'ils se dotent d'une " diplomatie privée
" ? Qui pourrait contester que le diplomate d'Etat doit avoir une lecture
sociologique des enjeux, au-delà de sa traditionnelle lecture stratégique
? Car l'autre face est bien là, d'autant plus discrète que son
efficacité tient à sa vertu de demeurer cachée, voire à
son inaptitude à s'organiser.
Si les sociétés regorgent d'acteurs internationaux, ceux-ci sont
soit des stratèges qui comprennent l'utilité d'avancer masqués
sur l'arène, soit des individus et des groupes qui font de la diplomatie
sans le savoir, souvent malgré eux et en poursuivant d'autres fins. Appelant
à une gestion multilatérale du monde, cette diversification des
acteurs se prête donc au multilatéralisme avec les plus grandes
difficultés.
Les Etats et leur diplomatie classique savent jouer de ce paradoxe, en profiter
et tirer vers eux les inventions les plus nouvelles, au risque de les travestir,
voire les dénaturer. Dans ce contexte, le bricolage diplomatique devient
monnaie courante...