Revue Française de Science Politique volume 51 n°1-2 2001

 

Les 50 ans de la RFSP : une relecture cavalière des débuts, Jean Leca

 

Devenirs militants

Introduction, Olivier Fillieule, Nonna Mayer

Carrières militantes et vocation à la morale : les militants de la Ligue des droits de l'homme dans les années 1980, Éric Agrikoliansky

 

Comment penser l'engagement militant sans le réduire à un simple calcul rationnel ou au reflet mécanique de dispositions acquises ? La notion de "carrière militante", empruntée à la sociologie interactionniste, offre un modèle séquentiel d'analyse de l'engagement visant à rendre compte des significations et des choix opérés par les agents à la lumière des dispositions iacquises au cours de phases antérieures de leur militantisme. Pour comprendre l'engagement dans une association comme la Ligue des droits de l'homme et la revendication morale qui est associée à cette forme d'action publique, il faut ainsi se pencher sur les trajectoires militantes antérieures de ceux qui y adhèrent. C'est en reconstituant dans une perspective biographique les spécificités de ces engagements passés (notamment au sein des partis politiques), les représentations de l'action politique qui en découlent et les interférences entre vie privée et vie publique qu'on peut rendre compte de l'attrait de ces militants pour une association qui leur offre de poursuivre une action collective hors des contraintes propres aux organisations partisanes.

Entrer, rester en humanitaire. Des fondateurs de Médecins sans frontières aux membres actuels des ONG médicales françaises, Johanna Siméant

 

L'article, à partir d'une enquête qualitative mobilisant près de 200 entretiens, tente de reconstituer les logiques de l'engagement dans les ONG humanitaires médicales d'urgence. Ce lieu d'observation est d'autant plus fécond que S'y entrecroisent statuts salariés et non rémunérés, le militantisme humanitaire représentant, sous cet aspect entre autres, un cas d'école pour comprendre l'imbrication des dimensions professionnelles et militantes de l'engagement. En effet, et de façon plus générale, un des coâts de l'engagement est le coat professionnel: certains engagements peuvent nuire au statut professionnel, la disponibilité autorisée par certaines professions est plus ou moins grande... Comprendre l'engagement suppose donc de le comprendre en l'inscrivant dans le temps. Dès lors, et au risque d'un usage métaphorique du terme, un des intérêts du concept de "carrière" est de faire le lien entre les dispositions individuelles, d'une part, et le temps et les moments de l'engagement, d'autre part, le militantisme apparaissant comme un prolongement de l'identité sociale. Mais le concept de carrière permet aussi d'éclairer comment l'on peut "faire carrière" en humanitaire. Au final, la notion de carrière militante permet d'envisager non seulement les dispositions au militantisme humanitaire, mais aussi les moments de vie et situations actualisant ces dispositions, voire les forgeant, et enfin la variation dans le temps des coûts et rétributions de l'engagement.

Les générations militantes à Droit au logement, Cécile Péchu

 

L'association Droit au logement (DAL), créée en 1990, a largement contribué à l'évolution des répertoires d'action collective durant les dix dernières années en utilisant des modes d'action directe comme le squat ou le campement. L'article s'attache à expliquer l'engagement en son sein, en accordant une place centrale au temps dans l'analyse. En effet, l'existence de trois "générations militantes" qui se sont succédé entre 1990 et 1996 dans l'association, enfonction de l'insertion de celle-ci dans le contexte historique, est mise en évidence, grâce à une ana-lyse prenant en compte aussi bien les défections que les adhésions. Cette attention aux modifications de la composition de l'organisation permet d'éclairer, de manière synchronique et diachronique, ses débats, conflits, scissions et tactiques, ainsi que leurs évolutions. Au niveau individuel, elle permet d'appréhender les évolutions des carrières militantes et les phénomènes d'entrée et de sortie. Les carrières de trois militants, typiques de chacune des générations, sont détaillées pour repérer l'articulation des raisons et des causes de ces flux. Celles-ci nous permettent d'illustrer la manière dont deux types de champs se sont différenciés progressivement Idurant les vingt dernières années, le champ partisan, dont dépendaient au moins depuis lafin de la seconde guerre mondiale la majeure partie des mouvements sociaux, et le champ militant, dont DAL nous semble constituer une organisation typique.

Les écologistes français, des experts en action, Sylvie Ollitrault

 

Les associations écologistes françaises ne dérogent pas aux caractéristiques attribuées aux mouvements verts européens et nord-américains, elles rassemblent des militants dotés en capitaux culturels qui deviennent de véritables experts, epistemic commuaity, aptes à construire une démonstration scientifique et à mener des actions collectives avec des moyens sophistiqués (médias, usage des sciences, de la législation...). En explorant de manière rigoureuse, au travers les discours identitaires des acteurs, les types de trajectoires de ces militants, des ressemblances sensibles apparaissent : le poids des experts dans leur association. Néanmoins, en observant de manière microsociale leur profil social, leur socialisation, leurs engagements (politique, associatif religieux), des distinctions entre groupes militants complexifient ce phénomène de l'émergence d'un militantisme expert. Alors que des trajectoires différenciées (politique, scientifique et réactive) expliquent les rivalités internes au mouvement déconcertant l'observateur, les effets de génération reflètent deux formes de militantisme liées à deux étapes historiques (les mobilisations des années 1970 et la professionnalisation des années 1990). Or les façons de "vivre de et pour" le militantisme ne sont ni exclusivement utilitaristes ni totale-ment homogènes. Les contraintes externes ont été puissantes pour transformer l'engagement en expertise et celles-ci réclament de plus en plus une socialisation secondaire (universitaire) adaptée au profil militant réclamé.

Entreprendre en politique. De l'extrême gauche au PS : la professionnalisation politique des fondateurs de SOS-Racisme, Philippe Juhem

 

En analysant les carrières militantes de Julien Dray et des fondateurs de SOS-Racisme, l'article cherche à comprendre les logiques de leur engagement initial au sein de la LCR puis celles de leur investissement dans des organisations étudiantes d'extrême gauche et enfin les raisons de leur entrée dans le parti socialiste. Le passage de l'extrême gauche au PS résulte, d'une part, de la nécessité d'acquérir – pour une génération particulière de cadres politiques étudiants entrés en politique durant l'après-68 et dépassant les trente ans en 1983 – dispositions professionnelles correspondant à leur statut militant, et, d'autre part, des opportunités de promotions etde reclassements ouverts par l'arrivée de la gauche au pouvoir en 1981. La carrière militante des membres de ces groupes apparait alors comme une succession de reconversions indissociablement idéologiques et professionnelles qui s'imposent aux militants en fonction des espaces sociaux qu'ils investissent et des opportunités que leur procure chaque nouvelle étape du processus d'accumulation de ressources politiques.

L'entrée en politique des jeunes Italiens: modèles explicatifs de l'adhésion partisane, Ettore Recchi

 

La politique partisane est communément méprisée par les jeunes Italiens des années 1990. En conséquence, au sein de cette génération, ceux qui militent dans un parti sont ultra minoritaires. Cette étude porte sur ceux qui ont fait ce choix atypi que, éclairant a contrasio la désaffection de leurs pairs pour la politique. Le milieu social et les caractéristiques psychologiques d'un échantillon de jeunes cadres partisans sont comparés à ceux d'un échantillon-témoin aléa-tire de jeunes du même âge. Les résultats établis ici ne valident pas les hypothèses psychologisantes élaborées par la littérature sur la personnalité politique. La "centralité sociale" apparait également comme un facteur prédict f' insuffisant du militantisme partisan. Nous soulignons l'existence d'un mécanisme plus complexe articulé autour des facteurs suivants : a) l'existence d'un "filet de sécurité" éducationnel et/ou profrssionnel ; b) l'existence d'un modèle d'identification militante du fait que l'un des membres de la famille est lui-même impliqué dans le monde politique ; c) un attachement préalable à un mentor politique qui facilite d) l'acquisition d'un volume important de capital social, ressource vitale pouvant être ensuite investie dans la construction du consensus. Des données complémentaires sur le recrutement politique en Italie nous apprennent que les fonctions réservées aux jeunes dans les partis constituent un premier stade dans la carrière politique. Etant donné la structure des opportunités politique, l'implication partisane précoce équivaut à un choix de carrière. Un tel choix ne fait sens que pour les individus qui disposent d'une combinaison particulière de ressources autorisant à envisager une carrière politique ultérieure : éducation ou richesse, liens familiaux avec un parti, chances de développer un capital social élevé. Étant donné que la possession de telles ressources est rare, l'ajustement des préférences conduit la plupart des jeunes gens à exclure la possibilité d'un engagement politique et à considérer les partis comme lointains et étrangers.

Les jeunes militants du Front national : Trois modèles d'engagement et de cheminement, Valérie Lafont

 

L'engagement au Front national a pour particularité d'être associe à la stigmatisation et au rejet. Pour les militants, ce type d'engagement est supposé être associé à un coût social élevé, correspondant à une désintégration progressive de la société civile parallèlement à leur intégration au parti. En ce sens, les carrières des militants FN peuvent être analysées comme les "carrières déviantes" décrites par Howard Becker. Pour la génération contemporaine, nous nous demandons ce qui, dans le cheminement des individus, provoque l'entrée et la progression dans de telles carrières : s'agit-il de prédispositions particulières issues de la socialisation politique des individus, d'événements biographiques particuliers, du contexte, du hasard des rencontres, ou d'une combinaison de tous ces éléments ? Quelle est la part laissée à la subjectivité et au choix de l'acteur dans la dynamique des carrières ? A partir d'entretiens biographiques, nous analysons trois carrières typiques de militants FN issus d'une même génération, mais de milieux social et politi que différents – l'un vient d'une famille aristocratique et monarchiste, l'autre d'une famille ouvrière et communiste et la dernière d'une famille ouvrière et apolitique – et cherchons à comprendre leur cheminement à travers les effets et les modes d'interactions entre le contexte et les dispositions.

Post scriptum : Propositions pour une analyse processuelle de l'engagement individuel, Olivier Fillieule

 

On défend ici une conception du militantisme comme activité sociale individuelle et dynamique, ce qui implique la prise en compte de la dimension temporelle. Plusieurs propositions sont faites, à partir d'exemples tirés d'une recherche en cours sur la lutte contre le sida : 1) recourir aux outils forgés dans le cadre de l'interactionisme symbolique, et notamment au concept de carrière ; 2) articuler une analyse compréhensive des raisons d'agir avancées par les individus à I'objectivation des positions successivement occupées par ces individus ; 3) introduire une dimension longitudinale dans l'enquête quantitative afin de reconstituer des trajets types articulables aux données des récits de vie ; 4) assortir l'analyse de l'engagement d'une analyse du désengagement et de groupes de contrôle de non engagés. Le texte n 'entend pas proposer un modèle mais plutôt suggérer un ensemble de pistes et de manières de faire cohérentes et heuristiques.

 

Le référendum du 24 septembre 2000 : Premiers éclairages

Le triangle référendaire: le scrutin du 24 septembre 2000 est-il un référendum d'un type nouveau ?, Jean-Luc Parodi

La victoire sans reliefs du "oui ", Bernard Dolez, Annie Laurent

Abstention et blancs et nuls au référendum du 24 septembre 2000, Daniel Boy, Jean Chiche

Le vote blanc : abstention civique ou expression politique ?, Adélaide Zulflkarpasic

 

Depuis une dizaine d'années, on observe une augmentation significative des votes blancs lors des consultations électorales, comme en témoigne le référendum du 24 septembre 2000. Le vote blanc demeure néanmoins un comportement électoral peu étudié. Considéré comme un suffrage non-exprimé, il a longtemps été assimilé à une erreur de l'électeur ou encore à une marque d'indifférence à l'égard de la politique, tout comme l'abstention. L'analyse politique du vote blanc montre qu'il constitue, au contraire, une expression, celle d'une insatisfaction face à une offie politique trop restreinte. L'analyse idéologique confirme le caractère expressif de ce vote. Les "votants blancs" portent un intérêt particulier à la politique, ont des exigences en la matière et manifestent, par leur vote, une déception à l'égard de la politique, qu'elle soit momentanée ou structurelle. En votant blanc, ils souhaitent faire passer un message et espèrent des changements. Ces électeurs ont d'ailleurs des caractéristiques sociologiques distinctes de celles des abstentionnistes : ils ne sont pas aussi jeunes, sont plus intégrés socialement, plus diplômés, plus politisés. Le vote blanc ne se substitue à l'abstention que dans un cas : en milieu rural, le poids des interconnaissances et du contrôle social poussent les électeurs à voter blanc plutôt qu'a s'abstenir. Le vote blanc recouvre donc deux types de comportements : le vote blanc traditionnel et rural, synonyme d'abstention cachée, et le vote blanc récent, plus urbain, expression politique.

Anniversaire

Documents pour servir à l'histoire de l'Association française de science politique (1949-1999)

Lectures critiques

Complexités de la démocratie directe, en lisant Bernard Manin, Y. Papadopoulos

Compte rendus

Yves Mény, Yves Surel, Par le peuple, pour le peuple. Le populisme et les démocraties — Christophe Bouillaud

Paul Rabinow, Le déchiffrage du génôme. L'aventure française — Dominique Memmi

Martine Barthélemy, Associations : un nouvel âge de la participation ? — Jacques de Maillard

Luc Foisneau, Hobbes et la toute-puissance de Dieu — Lucien Jaume

Michel Lallement, Les gouvernances de l'emploi. Relations professionnelles et marché du travail en France et en Allemagne — Guy Groux

Anaartya Sen, Repenser l'inégalité — Olivier Nay

Gil Delannoi, Sociologie de la nation, Fondements théoriques et expériences historiques — Alain Policar

Revue des revues

Index décennal (1991-2000) (supplément tiré à part)