Revue Française de Science Politique volume 51 n°5 2001

 

ARTICLES

Philippe Zittoun, "Partis politiques et politique du logement. Échange de ressources entre dons et dettes politiques"

La question du lien entre policy et politics constitue une problématique récurrente de l'analyse des politiques publiques. En s'inspirant de l'étude des processus de transformation de la politi que du logement au cours des vingt dernières années, l'article propose de développer une nouvelle approche en assimilant ce lien à un processus d'échange de type dons/dettes entre des coalitions d'acteurs positionnées sur des scènes différentes. D'un côté, on trouve deux coalitions en compétition appartenant à la scène des politiques du logement, disposant de répertoire d'arguments, d'analyses et d'instruments et à la recherche de nouvelles ressources pour modifier le rapport de pouvoir en place. De l'autre, on voit des partis politiques s'affronter au sein de la scène de la compétition politique disposant de ressources potentielles (en cas de victoire aux élections) et à la recherche d'arguments, d'analyses et d'instruments pour renforcer leur légitimité et leur distinction les uns par rapport aux autres. Cette complémentarîté des enjeux rend alors possible, et non systématique, l'échange entre ces coalitions principalement au cours des périodes électorales. On observe ainsi la capacité des partis politiques à pouvoir influer, sous certaines conditions, sur les politiques publiques. On mesure également toute l'importance des experts dans la maîtrise des arguments et des idées du débat politique et tout l'enjeu que représente l'existence de controverses qui les traversent.

Nicolas Mariot, "Les formes élémentaires de l’effervescence collective, ou l’état d’esprit prêté aux foules"

Cette étude interroge la place tenue par l'observation des comportements collectifs dans les démonstrations du caractère intégrateur des rassemblements de masse. Depuis Durkheim et sa notion d'effervescence sociale, celles-ci reposent en effet sur une opération de pensée d'apparence évidente mais qui pose d'importants problèmes dans le cadre de l'analyse de foules. Cette logique interprétative consiste à assigner aux émotions observables les croyances qui doivent leur correspondre pour que les individus aient adopté les comportements observés. En la matière, le commentaire savant ne se distingue pas du discours profane, qu'il soit politique, policier ou journalistique. A partir de ce constat, les deux caractères essentiels de l'opération (sa naturalité et son réductionnisme) sont discutés : l'étude conclut que bien que ce glissement interprétatif des corps aux états d'esprit nous soit profondément naturel (ce qui explique l'extraordinaire efficacité sociale de l'opération dans les processus de construction d'agrégats sociaux), il est nécessaire de rejeter ce principe explicatif : en effet, fournir la preuve du lien causal entre états d'esprit et comportements est, en matière de comportements collectifs observés à distance, tout à fait illusoire puisqu'on peut multiplier à l'infini les conditions sous lesquelles la proposition "un homme qui applaudit croit" est valide.

Laurence Vanommeslaghe, "Deux formes nationales d’opposition ouvrière à la délocalisation de Levi’s"

La fermeture simultanée, dans le Nord-Pas-de-Calais et en Flandre occidentale, de quatre unités de production appartenant à la multinationale Levi's offrait un terrain d'enquête exemplaire pour une approche comparatiste de l'action collective. De part et d'autre de la frontière franco-belge, la décision de l'employeur génère, de la part des ouvrières, des mouvements d'opposition dont les dissemblances se manifestent tant par les répertoires d'action mobilisés que par l'intensité des engagements. En outre, même Si nombre de conditions propices à 1 'émergence d'une communauté de lutte unifiée sont réunies, l'absence de solidarité transnationale est patente. L'article souligne l'hétérogénéité de l'univers de représentations des collectivités belge et française, tout comme celle de leur identité collective, de leur culture protestataire et de leur potentiel de mobilisation. Il tente d'apporter des éléments de compréhension de ces divergences et des incompréhensions mutuelles qu'elles ont suscitées en les mettant en perspective avec les grandes évolutions socio-économiques qui ont scandé les deux régions d'implantation des usines condamnées.

Anand Menon, "L’administration française à Bruxelles"

La coordination intra-étatique qui préside à l'élaboration des politiques européennes constitue un sujet d'intérêt croissant, tant pour les responsables politiques que pour les observateurs universitaires. Cet article entend contribuer au débat grandissant sur le thème de la formation des politiques européennes (policy making) au sein des États-membres, à partir de l'analyse d'une dimension spécifique du processus de coordination de la politique européenne de la France? la coordination nationale à Bruxelles. Et les méthodes de coordination utilisées, et leur efficacité sont analysées.

NOTE DE RECHERCHE

Claude Dargent, "Les régions contre l’État ? Identités territoriales et collectivités politiques dans l’exemple français"

Contrairement à ce que peut faire penser la rivalité entre les différents échelons territoriaux, l'analyse des données recueillies par l'Observatoire interrégional du politique établit que les niveaux d'attachement des Français aux d'ffiirentes collectivités territoriales "emboîtées", de la commune à l'Europe, sont très coTré/és entre eux. La force de ce capital identitaire territorial permet d'ailleurs de triompher largement des effets contradictoires de la position sociale sur l'attachement selon qu'on s'intéresse à l'Europe ou aux autres collectivités territoriales. Mieux: au vu d'une échelle d'identité régionale, on constate que les habitants des régions à forte identité ne sont pas les partisans les plus fervents de la poursuite de la décentralisation. L'attachement à ce processus ne provient pas non plus d'un meilleur fonctionnement de la démocratie prêté à ce niveau territorial : en fait, c'est parce que la proximité semble un gage de plus grande efficacité que la décentralisation se trouve plébiscitée. Les Français considèrent donc que les compétences aujourd'hui attribuées aux régions sont suffisantes pour autoriser l'épanouissement de leur identité - sauf dans le cas particulier de la Corse. Ce résultat incite à reconsidérer les relations entre identité territoriale et aspirations politiques, trop exclusivement envisagées jusqu'à présent au travers de controverses portant sur la seule relation nation-État.

DIALOGUE

Pierre Favre, "Retour à Babel ? L’oubli des machines. Une objection à Jean Laponce"

Le siècle qui commence verra une diminution notable du nombre des langues vivantes et une utilisation de plus enplus massive et incontestée de l'anglais, nouvelle langue universelle telle est la thèse soutenue par Jean Laponce dans cette revue (juin 2001, p. 483-493). La présente réponse développe une objection, celle de la place que vont prendre progressivement les ordinateurs dans les échanges linguistiques. L'augmentation quasi-exponentielle des puissances de calcul des ordinateurs, leur capacité aujourd'hui avérée de fabriquer leur propre langue, la manière de plus en plus performante dont ils vont traduire les langues naturelles, obligent àtenir compte d'un "acteur" que Jean Laponce néglige : les machines. De leur fait, l'obstacle linguistique disparaîtra dans le monde de demain, ce qui relégitimera les langues locales. Si plus tard, une langue universelle émerge, ce sera une langue-mosaïque intégrant des éléments des langues aujourd'hui concurrentes.

LECTURES CRITIQUES

REVUE DES REVUES

INFORMATIONS BIBLIOGRAPHIQUES