Revue Française de Science Politique volume 52 n°1 2002

Dossier : LES APPROCHES NATIONALES DES POLITIQUES PUBLIQUES

Introduction : vers un décloisonnement de l'analyse des politiques publiques ? La diversité des débats nationaux, Patrick Hassenteufel, Andy Smith

Depuis les années 1970, l'analyse des politiques publiques prend une place de plus en plus importante au sein des sciences du politique. Comme en témoigne une série d'articles publiés dans cette revue il y a six ans, cette approche de recherche est très loin d'être homogène. En effet, son développement s'est nourri d'importantes controverses qui sont autant méthodologiques que théoriques. Il n'en reste pas moins que ce développement est aussi marqué par un certain cloisonnement qui tend, ou au moins donne l'impression de tendre, à couper les spécialistes des politiques publiques du reste de la recherche scientifique effectuée sur le pouvoir.

Afin de prendre la mesure de cette tendance, les textes suivants cherchent à interroger l'état de l'analyse des politiques publiques dans quatre pays en particulier : la France, les États-Unis, l'Allemagne et le Royaume-Uni. Plus précisément, en tentant d'éclaircir la manière dont les spécialistes des politiques publiques dans chaque pays problématisent le rapport entre l'action publique et la politique, les auteurs regroupés ici ont abordé quatre questions :
- quelles sont les principales écoles de recherche sur les politiques publiques ?
- quels sont les rapports entre l'analyse des politiques publiques et les sciences du politique ?
- comment est formulée et traitée l'articulation entre des politiques publiques (policies), la compétition politique (politics) et l'espace politique (polity) ?
- quels sont les apports éventuels des travaux présentés par rapport aux interrogations qui prédominent en France (et vice-versa) ?

S'il y a des points de convergence entre les réponses apportées, les textes suivants identifient également un grand nombre de divergences importantes qui s'expliquent par le croisement de deux variables : la sociologie des sciences du politique d'une part et les changements d'enjeu saillants de politique publique d'autre part. Si les deux variables ont leur importance dans chacune des présentations de ce numéro, c'est en France et aux États-Unis que le rôle des débats internes aux sciences du politique semble avoir eu le plus d'influence. En revanche, en Allemagne et au Royaume-Uni, la manière dont les praticiens fabriquent les politiques publiques semblent avoir eu plus d'influence sur la façon dont les politistes les interrogent que l'inverse.

Une école allemande d'analyse des politiques publiques entre traditions étatiques et théoriques, Olivier Giraud

Les pistes de recherche développées en Allemagne dans le champ de l'analyse des politiques publiques ont, plus tôt que dans les autres pays occidentaux, mis en valeur les contraintes qui pèsent sur 1'Etat en action. Entre le poids des intérêts organisés et les entraves liées à l'organisation fédérale des institutions, le caractère " domestiqué " ou " semi-souverain " du pouvoir allemand a tôt stimulé les approches qui pensent les modes horizontaux ou verticaux du partage du pouvoir. Cet article se propose à la fois de recenser les différentes approches théoriques (néo-corporatisme, gouvernance associative, approche des réseaux ou de I'institutionnalisme centré sur les acteurs) dominantes dans la tradition allemande d'analyse des politiques publiques, tout en mettant en perspective les transformations des régimes d'action publique en RFA au cours des dernières décennies. Ce tour d'horizon des approches dominantes de l'analyse des politiques publiques se conclut en esquissant une double mise en perspective de ces approches : à la fois dans le modèle historique de 1'Etat allemand mais aussi dans le contexte du paysage des sciences sociales d'Outre -Rhin.

Grandeur et décadence de l'analyse britannique des politiques publiques, Andy Smith

En Grande-Bretagne, la trajectoire suivie par l'analyse des politiques publiques trouve ses origines dans l'étude de l'administration nationale et locale des années 1930, avant de connaître une expansion rapide dans les années 1970 et 1980. En s'appuyant sur la sociologie des organisations et sur l'étude du rapport entre l'État et les groupes d'intérêt, les chercheurs impliqués dans ce domaine ont transformé l'analyse de l'action publique en composante centrale de la science politique britannique. Au cours des années 1990, toutefois, la qualité de son rendement scientifique s'estompe en raison, d'une part, d'un changement des relations entre le monde universitaire et les pouvoirs publics et, d'autre part, d'une routinisation des problématiques qui fait négliger le rapport entre les politiques publiques, la politique et l'espace politique.

Politics et policy dans les approches américaines des politiques publiques effets institutionnels et dynamiques du changement, Marc Smyrl

Plutôt que de dresser un tableau exhaustif de la recherche américaine sur l'analyse des politiques publiques, l'objet de cet article consiste à entamer une réflexion autour d'un des programmes de recherches actuellement le plus en vue, celui du " nouvel institutionnalisme ". Plus précisément, en ciblant un aspect particulièrement problématique de ce programme - la relation entre les institutions, les politiques publiques, et le changement - nous soulignons le chemin conceptuel qui reste à parcourir avant d'en arriver à une approche réellement intégrée de l'action politique. En effet, c'est justement cette ambition théorique qui justifie la mise en relations d'approches des institutions et des politiques publiques pratiquées en France avec celles utilisées le plus souvent aux Etats-Unis.

Essoufflement ou second souffle ? L'analyse des politiques publiques " à la française ", Patrick Hassenteufel, Andy Smith

L'analyse des politiques publiques en France est aujourd'hui à la recherche d'un second souffle. En effet; un certain essoufflement la guette du fait d'éléments de cloisonnement sur elle-même de cette sous-discipline de la science politique et surtout à cause d'un déficit de réflexion méthodologique. Celui-ci est net dans le cas, emblématique pour l'analyse des politiques publiques en France, de l'approche cognitive. Ce second souffle peut notamment passer par une problématisation des politiques publiques en termes de sociologie politique. L'analyse de l'articulation policy/politics offre des pistes de recherche stimulantes, à condition de dépasser la quête (impossible) de " la " variable politique pertinente, en s'intéressant notamment à la légitimation et à la politisation des politiques publiques.

Divers

Rapport au politique, dimensions cognitives et perspectives pragmatiques dans l'analyse des mouvements sociaux, Lilian Mathieu

Le développement récent de l'analyse des mouvements sociaux ne l'a pas tenue à 1'abri des pièges croisés de 1'objectivisme et du subjectivisme. Le premier écueil affecte le concept de structure des opportunités politiques : destiné à rendre compte des rapports que les mobilisations entretiennent avec leur environnement politique, ce concept pèche par son indéfinition, son statisme et son mécanisme. Le modèle subjectiviste des " cadres de l'expérience contestataire ", qui envisage les processus d'engagement comme le résultat d'un alignement des perceptions respectives des militants et des organisations de mouvement social, apparaît, pour sa part, victime d'un lourd présupposé idéaliste et intellectualiste. L'article propose de surmonter ces difficultés en traçant la voie d'une analyse pragmatique de l'action collective, envisagée comme un domaine d'activité exigeant des compétences spécifiques et prenant place dans un univers de pratique et de sens relativement autonome : l'espace des mouvements sociaux.

 

LECTURES CRITIQUES
Comptes rendus

- Mark Thatcher, The Politics of Telecommunications. National Institutions, Convergence, and Change in Britain and France par Yves Surel
- Françoise Collin, Evelyne Pisier, Eleni Varikas (dir.),Les Femmes de Platon à Derrida anthologie critique par Bertrand Guillarme
- Thomas Lindemann, Les doctrines darwiniennes et la guerre de 1914 par Marcel Merle