Revue
Française de Science Politique volume 52 n°4 2002
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SUR
LES DYNAMIQUES SOCIOLOGIQUES ET POLITIQUES DE LIDENTIFICATION À
LEUROPE
Sophie Duchesne, André-Paul Frognier
Depuis les débuts de son existence, la Communauté Européenne
suscite des inquiétudes quant à sa capacité à faire
naître un sentiment dappartenance de nature suffisamment forte pour
asseoir la légitimité de son système politique. Au nombre
des explications de la faiblesse de ce quon ose à peine désigner
comme une " identité " européenne, lidée
que les attachements des Européens à leurs nations respectives
ferait écran au développement de cette nouvelle identification
figure en bonne place, surtout depuis la ratification du traité de Maastricht.
Les données dont on dispose pour tester la validité de cette hypothèse
à léchelle de lEurope les enquête
de lEurobaromètre rendent les choses difficiles à
traiter du fait des changements survenus depuis 1994 dans la formulation des
questions. Néanmoins, il est possible de faire apparaître un effet
de contexte électoral tout à fait intéressant : loin
des périodes où le débat public autour de lEurope
est particulièrement soutenu, on nobserve aucun antagonisme dans
les mesures dattachement à lEurope et à ses nations ,
alors quau moment des consultations européennes, notamment, on
observe bien un tel antagonisme. Cet effet de contexte peut être interprété
comme la conséquence de la bi-dimensionnalité des attachements
territoriaux des Européens, combinant logique politique de choix entre
des élites et des communautés politiques pour partie concurrentielles,
et logique sociologique dappartenance à des collectifs imaginaires.
LEXPERTISE
COMME MODE DE PARTICIPATION DES GROUPES DINTÉRÊT AU PROCESSUS
DÉCISIONNEL COMMUNAUTAIRE
Sabine Saurugger
Si la place et le rôle de lexpertise dans lélaboration
des politiques publiques européennes sont désormais lun
des thèmes dominants dans létude du policy-making européen,
peu de chercheurs se sont interrogés de manière systématique
sur la façon dont les groupes dintérêt divers utilisent
lexpertise comme ressource pour représenter leurs intérêts.
Ce répertoire daction est-il accessible à tous les groupes
dintérêt de la même manière ? Quels sont
les facteurs qui influent sur son utilisation inégale ? Lanalyse
des répertoires daction des groupes dintérêt
allemands et français dans les secteurs de lagriculture et du nucléaire
civil montre que, loin dêtre " neutre ", lexpertise
est profondément politique. Ne pas être autorisé à
fournir de lexpertise aux acteurs politico-administratifs peut priver
un acteur de sa capacité à défendre ses intérêts.
Dans un contexte dincertitude élevée ou de complexité
technique, le répertoire daction du recours à la science
utilisé par les groupes dintérêt est celui qui offre
un accès au policy-making communautaire. Le groupe dintérêt
qui na pas recours à lexpertise pour représenter ses
intérêts en reste exclu.
LINVENTION
FRANÇAISE DE LA DISCRIMINATION
Didier Fassin
À la fin des années quatre-vingt-dix, les pouvoirs publics et
plus largement la société française ont commencé
à reconnaître lexistence de discriminations liées
à lorigine et souvent qualifiées de " raciales ".
Cette évolution, dont quelques-uns des signes les plus marquants sont
rappelés, sinscrit en rupture avec un discours et une idéologie
qui avaient consisté à nier cette réalité. Jusqualors
disjointes, les problématiques du racisme et de linégalité
trouvent désormais un lieu darticulation, ce qui a des conséquences
en termes à la fois de représentation du monde social et de conception
des politiques publiques. Une réflexion critique sur les enjeux de cette
innovation peut toutefois être formulée à trois niveaux :
du point de vue des procédures dobjectivation, il existe un risque
dessentialisation des catégories utilisées ; sous langle
des processus de subjectivation, la tension entre sujet de droit et sujet de
souffrance favorise une victimisation des personnes ; dans la perspective
de laction enfin, la judiciarisation de la lutte contre la discrimination
tend à se faire au détriment dune approche historique et
sociale des fondements racistes de linégalité.
LES
MOBILISATIONS DES " SANS " DANS LA FRANCE CONTEMPORAINE :
LÉMERGENCE DUN " RADICALISME AUTOLIMITÉ " ?
Daniel Mouchard
Cet article cherche à montrer en quoi lanalyse des mobilisations
de groupes à faibles ressources dans la France des années 1990
(chômeurs, sans-papiers, mal-logés) peut être révélatrice
dun déplacement des enjeux et des modalités du conflit social.
Ce déplacement pourrait sapparenter au passage dune visée
de renversement de lordre social et politique à la mise en uvre
dun " radicalisme autolimité ", cherchant à
susciter des évolutions sociétales profondes, mais sans remise
en cause du cadre politique préexistant. On analyse donc dans un premier
temps les stratégies de confrontation à lÉtat mises
en uvres par ces groupes et par leurs soutiens : politisation du
rapport de dépendance, usages de lillégalisme. Cette analyse
donne à voir lémergence dune valeur de référence
spécifique : celle de lautonomie vis-à-vis des clôtures
étatiques. La construction de cet horizon normatif saccompagne
de la formalisation dun répertoire daction spécifique :
celui de la " désobéissance civique ".
LA
" CONDITION MILITAIRE " : INVENTIONS ET RÉINVENTIONS
DUNE CATÉGORIE DACTION PUBLIQUE
Jean Joana
Apparue
au début des années 1960, la notion de " condition militaire "
désigne à lorigine, pour les acteurs du secteur de la défense,
lensemble des droits et des obligations incombant à ceux qui exercent
lactivité militaire. Depuis, elle na cessé de susciter
une littérature abondante et de nombreux débats portant sur son
contenu, ses frontières ou ses traits distinctifs. Au-delà de
la dimension identitaire quelle a acquise, la condition militaire apparaît
comme une catégorie daction publique. Les usages qui en sont faits
sont tributaires des rapports entre militaires, fonctionnaires et représentants
du pouvoir politique. Leur évolution éclaire les logiques de définition
des politiques de défense, et des politiques de gestion des personnels
des armées françaises, de la fin de la guerre dAlgérie
jusquaux réformes de professionnalisation des années 1990.