Revue Française de Science Politique volume 53 n°6 2003

Préférences collectives et réactivité politique

 

La réactivité aux préférences collectives et l’imputabilité de l’action publique

En démocratie représentative, la façon dont les gouvernants répondent aux attentes des gouvernés est une manifestation du gouvernement par le peuple. Qu’on étudie la consistance, la congruence ou la représentation dynamique, il faut analyser différentes formes prises par l’opinion publique : tantôt agrégée, latente, perçue ou mobilisée. Les distorsions des préférences collectives justifient le diagnostic de réactivité imparfaite, qu’elle soit contingente, anticipée ou simulée. Les gouvernants cherchent à conformer les publics à leurs propres préférences davantage qu’à s’aligner sur une opinion sondagière. Le brouillage dans l’attribution des responsabilités politiques permet le déclin de la réactivité aux préférences collectives qui pourrait avoir partie liée au désenchantement démocratique.

Responsiveness to collective preferences and public action’s accountability

In a representative democracy, the way in which politicians are responsive to citizens expresses the government by the people. Whatever consistency, congruence or dynamic representation are studied, it is necessary to analyze various forms taken by public opinion: sometimes aggregate, latent, perceived or activated. The distortions of collective preferences justify the diagnosis of imperfect responsiveness, whether it is contingent, anticipated or simulated. Politicians seek to more conform mass opinion to their own preferences than to pander to a polling opinion. Accountability’s avoidance allows the decline of responsiveness to collective preferences, which could have part related to the "democratic disenchantment".

Responsabilité des élus devant l’électorat et efficacité du système politique américain : une analyse contrefactuelle

Nous examinons comment l’intérêt manifesté par les citoyens pour la chose publique façonne la politique présidentielle. Notre outil d'analyse consiste en un macromodèle de la politique américaine fondé sur des données empiriques et des évaluations économétriques tirées de la deuxième moitié du vingtième siècle. Nous procédons à des simulations stochastiques pour déterminer dans quelle mesure une variation de l’attention du public influe sur la responsabilité des élus devant l’électorat et sur l’efficacité du système de représentation dynamique. D’un point de vue qualitatif, une plus grande réactivité du public génère une responsabilité et une efficacité accrues. Néanmoins, les résultats quantitatifs laissent à penser que l’impact d’une augmentation de la réactivité des citoyens pourrait être plus modeste que spectaculaire.

Electoral Accountability and Efficiency of Politics in the United States : A Counterfactual Analysis

We consider how citizen attentiveness to public affairs shapes the character of presidential politics and policymaking. Our analytic tool is an empirically-grounded macro model of U.S. politics, one rooted in data and econometric estimates taken from the second half of the 20th century. We conduct stochastic simulation experiments to determine how varying attentiveness affects electoral accountability and the efficiency of dynamic representation. Qualitatively, attentiveness yields greater accountability and efficiency. However, the quantitative estimates indicate that the effect of altering citizen attentiveness may be more modest rather than dramatic.

Pourquoi le gouvernement canadien a-t-il refusé de participer à la guerre en Irak ?

Cet article a pour objectif d’identifier les facteurs lourds ayant contribué à la décision du gouvernement canadien de ne pas joindre les forces de la coalition menée par les États-Unis favorables à une intervention militaire en Irak. Cette décision constituait la réponse canadienne à diverses pressions intérieures et notamment aux positions adoptées par le gouvernement du Québec et l’Assemblée nationale du Québec. Le Québec tout entier a nettement pris le leadership canadien au cours de cette crise internationale, tandis que le gouvernement canadien devait tenir compte d’une opinion publique plus partagée dans le reste du Canada. Cette analyse confirme également l’interprétation " réaliste " voulant que l’entourage du Premier ministre joue un rôle déterminant dans l’analyse des tendances des opinions publiques et dans la stratégie gouvernementale. Il y a finalement eu convergence entre l’opinion publique et la décision canadienne. Cette analyse appuie également la thèse de la théorie du dépistage qui attribue un rôle primordial aux facteurs structuraux et environnementaux dans la décision des élites politiques et des citoyens.

Why the Canadian government refused to take part in the war in Iraq?

The objective of this paper is to identify the key factors that contributed to the decision of the Canadian government not to participate in the join forces led by the United States favourable to a military intervention in Iraq. This decision was the Canadian response to various interior pressures and in particular exercised by the Québec government and the Assemblée nationale du Québec. The consensus among all groups in Quebec society and the government put province in the front seat during this international crisis. On the other side, the Canadian government had to cope with a divisive public opinion in the rest of Canada. This analysis supports the "realist" explanation which suggests that the inner circle around the Prime minister play a crucial role in the analysis of public opinion as well in the strategy elaborated by the government. We can observe some convergence between public opinion and the Canadian government. This analysis also supports the arguments put for by the "screening theory" that structural and environmental factors play a key role in decisions by political elites and citizens.

Les élections affectent-elles les politiques gouvernementales ? Le cas de dépenses publiques

Ce texte cherche à déterminer si la tenue d’élections affecte vraiment l’orientation des politiques gouvernementales. Deux hypothèses spécifiques sont examinées. La première est que les gouvernements de gauche dépensent davantage que les gouvernements de droite. La seconde est que les gouvernements augmentent leurs dépenses juste avant une élection. Le texte présente un bilan des études quantitatives qui ont été effectuées sur ces deux questions. Je montre que les recherches confirment dans l’ensemble ces deux hypothèses, tout en indiquant que les élections ne constituent qu’un facteur parmi plusieurs qui influencent les choix budgétaires des gouvernements et que ce facteur ne joue, comme les autres, qu’à la marge. Néanmoins, les études recensées donnent raison aux " optimistes modestes " qui croient que cela change quelque chose qu’il y ait des élections ou non dans un pays.

Do elections affect public policies? The case of public expenditure

This paper ascertains whether elections affect public policies. Two hypotheses are examined. The first is that left wing governments spend more than right wing governments. The second is that governments increase their spending in the months preceding the election. The paper reviews quantitative research dealing with these two hypotheses. I show that the empirical evidence broadly supports the two hypotheses. The studies also show, however, that elections are only one of the many factors that influence budgetary outcomes and that their impact is relatively small. Nevertheless, quantitative empirical research modestly supports the claim of those who believe that elections matter.

Actions gouvernementales, popularité et polarisation politique : une étude comparée

L’étude du poids des idéologies en politique et des différences entre les partis politiques lorsqu’ils gouvernent a été entreprise depuis bien longtemps par des disciplines telles que l’économie et la science politique. Cependant ces disciplines ont peu communiqué et les résultats obtenus dans l’une ont été négligés par l’autre. Dans cet article, nous nous sommes proposé de présenter un modèle politico-économique — développé initialement par Bruno Frey — pertinent quant à l’étude des idéologies en politique et d’en développer des conséquences qui vont au-delà du cadre économique. En particulier, nous montrerons que plus les opinions politiques des citoyens sont divergentes, plus les politiques des gouvernements sont convergentes. Les pays étudiés en particulier sont l’Allemagne, le Danemark et la France.

Governmental actions, popularity and political polarization: a comparative study

The study of ideologies’ pound in politics and of differences between political parties when they stay in government has been developed since a long time by economical and political sciences. Nevertheless, this disciplines have worked separately and the results given by one have been neglected by the other. In this paper, we will present a politico-economical model — developed initially by Bruno Frey — who is relevant for the study of ideology in politics and we will develop a non economical consequence. Particularly, we will show that more citizen’s political opinions are divergent and more government’s policies are convergent. The countries studied are especially Germany, Denmark and France.