Revue Française de Science Politique volume 56 n°6 2006

 

La production notabiliaire du militantisme au Parti socialiste

À partir du résultat des votes de la plupart des sections du Parti socialiste lors de trois scrutins internes, il est possible d’analyser à la fois les modalités d’enregistrement des militants et les processus de construction des majorités partisanes lors des congrès. Les ressources que le contrôle des institutions municipales procure aux maires socialistes autorisent un accroissement du nombre des militants, mais aussi de la discipline de leurs votes. Particulièrement identifiable dans les grandes fédérations du parti (Pas de Calais, Hérault, Bouches-du-Rhône, etc.) l’engendrement notabiliaire du militantisme et son contrôle permet aux élus de maîtriser les investitures et d’affirmer leur emprise aussi bien sur l’organisation partisane qu’au sein des différentes collectivités territoriales dominées par le PS. En ce sens, la gestion honorable des institutions publiques conduit les élus à ajuster le parti aux contraintes que leur occupation impose.

How militantism is generated by notables in the French Socialist Party

From the results in the French Socialist Party's most sections in three internal ballots, it's possible to analyse both the methods of registration of militants and the process of building partisan majorities in congresses. The resources the control of municipal institutions brings to the socialist mayors allow them to increase not only the number of local militants but also the discipline of their votes. We may very easily witness in the great federations of the party how militantism is generated and controlled by notables and how this allows the elected representatives to keep the partisan nominations under control and have a great hold over the partisan organisation as well as over the various local communities where the party is predominant. Thus, a fair management of the public institutions leads the elected representatives to make the party fit to the constraints of their occupation.

Au-delà du déclin : difficultés, rationalisation et réinvention du recours à la grève dans les stratégies confédérales des syndicats

L’intensité de la pratique gréviste française a connu un profond fléchissement et constitue une dimension centrale de l’évolution contemporaine du répertoire d’action collective. A partir de l’examen de conflits interprofessionnels récents, notre ambition est d’examiner concrètement les conditions de ce déclin. Sans postuler une quelconque disparition de la grève, il s’agit tout d’abord de dégager l’enchevêtrement des contraintes structurelles, organisationnelles et interactionnelles propres à la reconfiguration de l’espace syndical, qui rendent difficiles le recours au mode d’action gréviste. On cherche ensuite à saisir comment, dans cet espace de contraintes, peuvent se redéployer les usages syndicaux concurrentiels de la grève et se redéfinir les stratégies de mise en œuvre et de légitimation d’une pratique largement stigmatisée.

Beyond the decline : difficulties, rationalization and reinvention of strike in the confederal strategies of French trade unions

During these last decades, strike activity has gone down in the French industrial relations, which appears to be one of the main aspects of the transformation of the repertoire of contention. Through the examination of some of the last national industrial conflicts, we try to stress a set of structural obstacles, organisational specificities and strategic interactions specific to the reconfiguration of the French union field that make the activation of strike more difficult. Then, we study, within these various constraints, the differentiated availability of union leaders to integrate the register of strike in their competitive strategies, and how they are lead to adapt the mode of striking, in order to legitimate the widespread stigmatizing representations of this mode of action.

Tocqueville face au thème de la " nouvelle aristocratie ". La difficile naissance des partis en France

L’un des facteurs expliquant les lenteurs et les réticences pour instituer des partis politiques en France se trouve dans l’histoire d’une notion omniprésente au 19e siècle : la " nouvelle aristocratie ". Longtemps les courants politiques et les auteurs confondent la question de la classe gouvernante, celle de l’organisation du suffrage et celle d’une sociabilité à inventer pour dépasser l’atomisme légué par la Révolution française. La " nouvelle aristocratie " répond confusément à ces trois attentes, comme on le voit chez Guizot, en polémique avec Tocqueville, et chez Tocqueville lui-même, qui réfute la notion, mais ne conçoit pas véritablement l’organisation partisane moderne. C’est Ernest Duvergier de Hauranne qui jette les bases d’une conception du parti comme instance de programme, agent de mobilisation du vote et producteur de notables locaux au service du parti. En étudiant les États-Unis (1866) et l’Angleterre (1868), il se sépare clairement du fantôme persistant chez les Orléanistes de la " nouvelle aristocratie ".

The theme of the "new aristocracy" addressed by Tocqueville. On the obstacles to the development of French political parties

"New aristocracy" is an omnipresent notion in 19th c. French political culture. It is also an explanatory factor for the weak and reluctant process of creating political parties. For a long time, political groups and writers confused three issues: the governing class, the election process, the new sociability required by post-revolutionary French atomism. As can be seen in the polemics between Guizot and Tocqueville, the "new aristocracy" was a confused means to address these three problems. Tocqueville himself refuted the very notion, but did not create the modern party system. Ernest Duvergier de Hauranne conceived of parties as a means of planning policy, mobilising the electorate, and generating local elites who are, conversely, the willing agents of the political program the party decided. In studying America (1866) and Great Britain (1868), he distances himself from the ghosts of the Orleanists of the "new aristocracy".

Le Parlement face à ses adversaires. La réplique allemande au désenchantement démocratique dans l’entre-deux-guerres

Après la Première Guerre mondiale, les régimes parlementaires affrontent des critiques nombreuses et parfois virulentes, qui leur reprochent non seulement leurs défaillances, mais également d’avoir ruiné les espérances démocratiques. Si l’Europe est touchée par ce phénomène de contestation, l’Allemagne l’est plus particulièrement en raison de la crise profonde que traversent ses institutions. Face à cet antiparlementarisme, se développent, au cours des années 1920, de très intéressantes tentatives de réhabilitation du parlementarisme dans sa légitimité démocratique, notamment chez des juristes tels que Hermann Heller, Hans Kelsen et Rudolf Smend. Leur résistance doctrinale, sur laquelle cet article porte son attention, coïncide avec une définition renouvelée du sens et de la fonction des arènes parlementaires et s’ouvre plus largement sur une réflexion relative à la vie démocratique au 20e siècle.

The parliament in front of his critics. The German response to democratic disillusionment in the inter-war period.

After the First World War, parliamentarian regimes face many critics, some of which very violent, reproaching them not only of their deficiencies, but also for having ruined certain democratic hopes. If Europe is affected by this contestation, Germany is particularly concerned due to the deep institutional crisis it undergoes. In reply to the critics of parliamentary system, during the 1920ties there emerge some very interesting attempts at rehabilitation of the parliamentary system in its democratic legitimacy, particularly by jurists like Hermann Heller, Hans Kelsen and Rudolf Smend. Their doctrinal resistance, to which this article pays attention, coincides with a new definition of the sense and the functions of the parliamentary arena and opens up a larger reflection on democratic life in the 20th century.

Les défis de l’européanisation dans la réforme du système judiciaire roumain post-communiste. De l’inertie vers la transformation ?

Cette contribution se propose d’examiner les réponses données par la Roumanie aux pressions d’adaptation européennes relatives à la mise sur pied d’un système judiciaire indépendant. Dans l’absence d’un modèle offert par les institutions communautaires ou d’une voie à suivre en matière de (re)organisation des institutions judiciaires héritées du régime communiste, la recherche est une tentative de décrire et d’expliquer la manière dont une politique publique nationale est modelée par des acteurs nationaux — étatiques et/ou non étatiques - afin de satisfaire ce critère politique d’adhésion à l’Union européenne. L’article se focalise sur un aspect particulier de la transition vers la démocratie et l’État de droit dans ce pays, à savoir l’adoption des lois organiques relatives au Conseil Supérieur de la Magistrature, au statut des magistrats et à la loi d’organisation judiciaire entre 1996 et 2004.

The post-communist Rumanian judiciary reform : Europeanization as a chance for changes

This article analyzes the Rumanian response to the criteria required in the process of accession to the UE, pressures dictated by European regulations, namely the setting up of an independent judiciary system. Bearing in mind the lack of a European designed model so as to adjust communist inherited judiciary institutions, the article attempts at describing and clarifying how national actors -whether state or independent- model a national government so as to meet the demands required to join the European Union. The author focuses on a particular aspect of Rumanian progression towards democracy: the implementation of organic laws pertaining to the status of judges, and the 1996-2004 law on the redeployment of the judiciary system.

 

 

 

VOLUME 56

NUMÉRO 6

Décembre 2006

ARTICLES

La production notabiliaire du militantisme au Parti socialiste

 

Philippe Juhem

909

Au-delà du déclin : difficultés, rationalisation et réinvention du recours à la grève dans les stratégies confédérales des syndicats

 

 

Baptiste Giraud

 

943

Tocqueville face au thème de la " nouvelle aristocratie ". La difficile naissance des partis en France

 

Lucien Jaume

969

Le Parlement face à ses adversaires. La réplique allemande au désenchantement démocratique dans l’entre-deux-guerres

 

 

Sandrine Baume

 

985

Les défis de l’européanisation dans la réforme du système judiciaire roumain post-communiste. Entre inertie et transformation

 

Ramona Coman

 

999

LECTURES CRITIQUES

L’épistémologie du politique selon Pierre Favre

Jacques Lagroye

1029

L’influence des facteurs institutionnels sur la délibération comme action politique

Bernard Reber

1040

COMPTES RENDUS

Jacques E. C. Hymans, The Psychology of Nuclear Proliferation, Identity, Emotions and Foreign Policy

 

Alexandre Hummel

1045

Antoine Vauchez, L’institution judiciaire remotivée. Le processus d’institutionnalisation d’une " nouvelle justice " en Italie (1960-2000)

 

 

Éric Farges

 

1048

Jean-Jacques Pardini, Claude Deves (dir.), La réforme de l’État

Julien Barroche

1051

REVUE DES REVUES

1053

INFORMATIONS BIBLIOGRAPHIQUES

1055