Revue Française de Science Politique volume 57 n°6 2007

LA COMPÉTENCE POLITIQUE

Cognitions, auto-habilitation et pouvoirs des " citoyens "

Diverses recherches convergent de longue date pour souligner que, quel que soit leur niveau d’information et d’intérêt pour la politique, tous les citoyens disposent de savoirs et d’instruments d’évaluation suffisants pour faire des choix politiques et, en particulier, pour voter. Si l’observation confirme cette hypothèse, les cognitions ne peuvent pourtant pas pour autant être considérées comme équivalentes. Elles s’accompagnent chez certains d’un sentiment d’incompréhension et d’incompétence face aux situations politiques. Le fait de voter ne garantit pas non plus que tous les citoyens sont en mesure de porter un jugement critique sur les décisions des gouvernants. Indépendamment des ressources cognitives de chacun, les dispositions à l’auto-habilitation ou à l’auto-déshumanisation gouvernent les pouvoirs que les citoyens s’accordent ou s’interdisent pour exercer les droits de contrôle que la théorie démocratique " officielle " reconnaît à chacun.

Cognition, self-empowerment and citizens’ power

According to the cognitive paradigm, whatever their level of political information and interest, all citizens are able to mobilize cognitive tools, information shortcuts and heuristics to express political judgments and electoral preferences. But these cognitive tools can’t be regarded as equivalent. Some citizens express feelings of lack of understanding and political incompetence, when others deem that they are obviously capable to express personal views on political and governmental affairs. Attitudes towards the political realm don’t only depend on cognitive skills. According to the democratic orthodoxy, citizens are not only expected to vote but also to control their representatives at each election. But through processes of self-empowerment or self-disempowerment, citizens are willing or unwilling to wield the powers given to all of them by the official representation of democratic systems.

Faut-il se débarrasser de la notion de compétence politique ? Retour critique sur un concept classique de la science politique

L’article propose un inventaire critique des recherches portant sur la notion de " compétence politique " dans la science politique contemporaine. En premier lieu, il s’interroge sur les raisons qui expliquent pourquoi le niveau de connaissance politique des citoyens ordinaires est devenu un objet central de la discipline. En second lieu, il revient sur la manière dont cette question est abordée traditionnellement et les postulats sur lesquels reposent les définitions classiques de ce concept. Au final, il pose la question suivante : " does political competence still matters ? " en invitant à réfléchir à l’utilité de cette notion pour comprendre les transformations des attitudes politiques contemporaines.

Is it necessary to get rid of the notion of political competence ? Critical return on a classical concept of political sciences

The article offers a critical inventory of researches concerning the notion of " political competence " in contemporary political sciences. Above all, it wonders about the reasons which explain why the level of political knowledge of the ordinary citizens became a central object of discipline. Secondly, it comes back on the way this question is traditionally tackled and on the postulates on which rest four classical definitions of this concept. Finally, it asks the following question : " does political competence still matters ? " by inviting to think about the usefulness of this notion to understand the transformations of the contemporary political attitudes.

Pour une sociologie historique de la compétence À opiner " politiquement ". Quelques hypothèses de travail à partir de l’histoire électorale française

S’appuyant sur l’histoire électorale française, l’article tend à établir que l’appréhension traditionnelle de la notion de compétence politique autonomise par trop cette dernière d’autres matrices sociales, culturelles ou religieuses qui contribuent pourtant à forger l’opinion que se font les citoyens au moment des élections. Parce qu’il privilégie l’échelle des acteurs et celle des communautés locales, parce qu’il partage le souci de restituer les logiques de mobilisation et de participation électorales, et donc de retrouver les formes différenciées de politisation(s) des citoyens, le regard socio-historique favorise le renouvellement des paradigmes susceptibles de rendre compte des mécanismes de production sociale de la compétence à opiner " politiquement ". Au paradigme de la domination privilégié, on associera ici celui de la " traduction " susceptible de penser la politisation en termes d’échanges et de transferts culturels.

For a historical sociology of the ability to form " political " beliefs. some working hypotheses drawn from French electoral history

Based on French electoral history, the article tends to establish that the traditional apprehension of the notion of political competence exaggerates its autonomy from the other social, cultural or religious matrices which contribute to forging citizens’ opinions at the time of the elections. Because it privileges the level of the actors and that of the local communities, because it shares the concern to restore the logics of mobilization and electoral turnout, and thus to find the various familiar forms of politicization of the citizens, the socio-historical approach facilitates the renewal of paradigms able to account for the mechanisms of social production of " political " beliefs. To the paradigm of privileged domination, we associate that of the " translation " making it possible to account for politicization in terms of exchanges and cultural transfers.

Compétence politique et bricolage. Les formes profanes du rapport au politique

La notion de compétence politique, lorsqu’elle est employée, incite à classer les individus comme plus ou moins compétents (au sens où ils maîtrisent certaines catégories politiques). Cet article se propose de montrer que des citoyens ordinaires peuvent effectivement se révéler compétents, mais en mobilisant des ressources non politiques qui leur permettent de rendre intelligible le champ politique et ses enjeux. Ce faisant, l’auteur s’intéresse à des formes très générales de la compétence en politique, observables chez des agents qui bricolent et s’y retrouvent en politique à partir d‘échelles profanes de pertinence.

Political competence and fixing things. Ordinary forms of the relation to politics

The notion of political competence, when it is used, encourages to rank the individuals as more or less competent (in sense that they control certain political categories). This article aims at showing that ordinary citizens can really turn out to be competent, but in mobilizing means that are not political, which allow them to return comprehensible the political field and its stakes. Thus, the author is interested in very general forms of competence in politics, revealed in agents who knock up and understand politics from ordinary levels of pertinence.

 

VOLUME 57

NUMÉRO 6

Décembre 2007

LA COMPÉTENCE POLITIQUE

La compétence politique. Nouveaux questionnements et nouvelles perspectives

 

 

 

733

Cognitions, auto-habilitation et pouvoirs des " citoyens "

 

Daniel Gaxie

737

Faut-il se débarrasser de la notion de compétence politique ? Retour critique sur un concept classique de la science politique

 

 

Loïc Blondiaux

 

759

Pour une sociologie historique de la compétence à opiner " politiquement ". Quelques hypothèses de travail à partir de l’histoire électorale française

 

 

Yves Déloye

 

775

Compétence politique et bricolage. Les formes profanes du rapport au politique

Alfredo Joignant

799

LECTURES CRITIQUES

L’illusion du destin, selon Amartya Sen

Thomas Meszaros

819

Jacques Maritain, ce " chevalier de l’absolu " ?

Julien Barroche

822

La théorie démocratique de Hans Kelsen

Renaud Baumert

827

COMPTES RENDUS

Philippe Hamman, Les transformations de la notabilité entre France et Allemagne. L’industrie faïencière à Sarreguemines (1836-1918)

 

 

Yves Déloye

 

829

Mark Thatcher, Internationalisation and Economic Institutions. Comparing European Experiences

 

Emiliano Grossman

831

Hugh Brogan, Alexis de Tocqueville, Prophet of democracy in the age of revolution, a biography

 

Olivia Leboyer

833

REVUE DES REVUES

837