Revue Française de Science Politique volume 58 n°1 2008

 

Carl Schmitt contre le parlementarisme weimarien. Quatorze ans de rhétorique réactionnaire"

Cette étude analyse les écrits weimariens de Carl Schmitt en utilisant les outils de la " rhétorique réactionnaire " développés par Albert O. Hirschman. L’antiparlementarisme et l’antilibéralisme du juriste allemand y apparaissent constants ; ce qui varie, en revanche, ce sont les formes que prend ce discours. Dans les premières années, Schmitt insista surtout sur les " effets pervers " du parlementarisme, affirmant qu’il aboutissait à des résultats contraires à ceux escomptés. Avec l’affaiblissement progressif du régime, Schmitt devint plus explicite et présenta le parlementarisme comme une " mise en péril " de la démocratie et, en dernier lieu, d’un État conçu sur un mode autoritaire et belliciste. Malgré ses dénégations ultérieures, Schmitt n’a jamais voulu sauver la République de Weimar, mais bien la subvertir.

Carl Schmitt versus the weimar parliamentarianism. fourteen years of rhetoric of reaction.

This article examines Carl Schmitt’s Weimar writings. This analysis draws upon the “rhetoric of reaction” model as developed by Albert O. Hirschman. Although antiparliamentarianism and antiliberalism have always been the key elements of Schmitt’s thought, there is a clear shift in the way he expressed these ideas. Schmitt first insisted on the “perversity” of parliamentarism, contending that it was counterproductive. As soon as the parliamentary regime started to show signs of collapse, Schmitt more insistently described the parliament as a “jeopardy” for democracy and, ultimately, for a State defined in authoritarian and warlike terms. In spite of the arguments he made afterwards, Schmitt was never interested in saving the Weimar Republic. He did seek to undermine it.

 

La démocratie radicale de Jürgen Habermas. Entre socialisme et anarchie

Jürgen Habermas est sans doute l’intellectuel dont les écrits ont eu la plus grande influence politique en Europe depuis une vingtaine d’années. Parmi ses nombreux ouvrages, Droit et Démocratie est probablement le plus important à cet égard. Dans ce livre, Habermas expose sa conception de la démocratie, et plus largement de la politique. Il y pose les fondements théoriques de ce qu’il nomme une " démocratie radicale ", une démocratie qui ne serait plus fondée sur les droits naturels de l’homme, mais sur ce qu’Habermas appelle le principe de discussion. Une telle démocratie lui semble désormais indispensable pour pouvoir combiner les libertés individuelles de la tradition libérale avec les fonctions redistributrices assurées par l’État providence. Le présent article se propose d’examiner la solidité des fondations de cette " démocratie radicale " qu’Habermas appelle de ses vœux.

The radical democracy of Jürgen Habermas. Between socialism and anarchy

Jürgen Habermas is probably the intellectual whose writings had the biggest political influence in Europe in the last twenty years. Amongst its numerous works, Right and Democracy might well be the most important in this respect. In this book, Habermas explains its conception of democracy, and more widely of politics. He lays down the theoretical foundations of what he names a “radical democracy”, a democracy that would not be based on the natural rights of man anymore, but on what Habermas dubs “the discussion principle”. Such a democracy seems necessary to him to combine the individual freedoms of the liberal tradition with the redistributive functions of the Welfare State. The present article tries to assess the solidity of the foundations of this “radical democracy” for which Habermas is striving.

 

Xénophobie, " cultures politiques " et théories de la menace : une comparaison européenne

Cet article vise à expliquer les différences nationales de xénophobie en Europe de l’Ouest (UE15). L’exploitation de grandes enquêtes européennes par sondage nous permet d’abord de proposer une mesure comparée des attitudes xénophobes. Partant ensuite des " théories de la menace " (threat theories), qui fondent la plupart des comparaisons internationales des attitudes xénophobes, nous montrons que les phénomènes contextuels réputés induire le sentiment d’une menace – au premier rang desquels l’immigration – ne suffisent pas pour comprendre les différences nationales de xénophobie. D’un autre côté, les explications en termes de " cultures politiques " ou " d’ouverture culturelle " (que mesure notamment le capital social) se révèlent également insuffisantes. Revenant alors aux intuitions historiques de Myrdal, nous montrons que seul un modèle alternatif des facteurs contextuels (nationaux) de la xénophobie peut permettre de comprendre les différences observées. Ces dernières passent par des " effets de compensation " entre phénomènes induisant d’un côté le sentiment d’une menace et renvoyant de l’autre à des caractéristiques davantage structurelles ou de " culture politique " des sociétés étudiées.

Ethnic prejudice, " political cultures " and threat theories : a European comparison

This article aims at explaining national differences in ethnic prejudice at a Western European scale (EU15). The analysis of international surveys first allows to build up a comparative measurement of prejudiced attitudes. We then build upon Threat Theories, that sustain most international comparisons of prejudiced attitudes. We thus show that the contextual phenomena, which are said to induce threat feelings – in particular immigration – do not account for national differences in ethnic prejudice. At the same time, explanations referring to “political cultures” or to “cultural openness” (of which social capital is a key component) are neither sufficient. Finally, going back to Myrdal’s historical insights, we show that only an alternative model of contextual factors of ethnic prejudice allows understanding the observed national variations. The later merely reflect “off-setting effects” between phenomena fostering threat feelings on one hand, and more structural phenomena related to the “political cultures” of European societies on the other hand.

 

Le lobbying des ONG internationales d’environnement à Bruxelles. Les ressources de réseau et d’information, conditions et facteurs de changement de l’action collective

Cet article aborde l’intervention des groupes environnementaux sur la scène communautaire. Il procède à une comparaison de quatre organisations internationales non gouvernementales (OING) d’environnement, chacune disposant d’un bureau de permanents à Bruxelles. Ce bureau sert de point de départ pour l’analyse des facteurs de structuration d’une action collective européenne, au sein de ces réseaux internationaux, et des changements qui les affectent. Les modes d’organisation interne révèlent les solutions adaptées pour faire participer les organisations nationales membres et échanger de l’information. Les ressources d’information et de réseau, d’un moyen d’action collective, deviennent pour les organisations nationales qui les instrumentalisent, une fin en soi, confirmant la dimension stratégique du lobbying communautaire.

International environmental NGOs lobbying in Brussels : how network and information resources shape collective action

This paper addresses the dynamics of green activism towards the European Union. It compares four environmental international non-governmental organizations (INGOs), each being represented in Brussels by an office of permanent employees. The latter structure is a starting point to analyze both the factors of European collective action within such international networks and the changes they are bound to face. The modes of internal organization reflect two major challenges at adaptation: how to involve national environmental groups in the European network and how to arouse information exchanges. First viewed as a means to facilitate the cooperation, the resources provided by network and information may motivate national organizations into deeper individual commitment in Brussels. This trend confirms the strategic forces at stake in resorting to EU lobbying.

 

Les fonctionnaires travaillent-ils de plus en plus ? Un double inventaire des recherches sur l’activité des agents publics

L’article propose deux lectures successives des travaux de recherche sociologique sur l’administration et les entreprises publique qui, depuis la fin des années 1980, en France, ont introduit l’analyse fine de l’activité des agents publics. La première lecture s’attache à la manière dont ces travaux ont tenté de relier des descriptions micro de l’activité des agents et une vision plus macro de l’intervention publique et met en évidence la diversité des approches. La seconde lecture met, en contrepoint, l’accent sur la convergence empirique des observations menées. Celles-ci documente dans plusieurs domaines (la relation de service, la qualification des situations juridiques, la médiation dans les banlieues et la coordination de l’action publique territoriale) une autonomie de ces agents corrélée directement à la recherche d’efficacité. Ceci conduit à formuler l’hypothèse historique d’un déplacement, à cette époque, de la place accordée au travail, entendu comme acte d’ajustement irréductible à la prescription, dans l’action publique.

Do civil servants work more and more ? A double inventory of the researches about public agents’ activity

The article proposes two successive approaches of the works of sociological research on public administration and public companies which, since the end of 1980s, in France, introduced a fine analysis of civil servants’ activity. The first approach considers the way these works tried to connect micro descriptions of agents’ activity and a more macro vision of public intervention, and brings to light the diversity of approaches. The second approach puts, in counterpoint, the accent on the empirical convergence of the led observations. These document in several domains (the relation of service, the qualification of legal situations, the mediation in suburbs and the coordination of territorial public action) an autonomy of these agents correlated directly in search of efficiency. This leads to formulate the historic hypothesis of a movement, in this time, of the place granted to work, understood as an act of inflexible adjustment to the prescription, in the public action.

 

VOLUME 58

NUMÉRO 1

Février 2008

ARTICLES

Carl Schmitt contre le parlementarisme weimarien. Quatorze ans de rhétorique réactionnaire"

 

Renaud Baumert

 

5

La démocratie radicale de Jürgen Habermas. Entre socialisme et anarchie

Laurent Lemasson

 

39

Xénophobie, " cultures politiques " et théories de la menace : une comparaison européenne

Guillaume Roux

65

Le lobbying des ONG internationales d’environnement à Bruxelles. Les ressources de réseau et d’information, conditions et facteurs de changement de l’action collective

Nathalie Berny

97

 

INVENTAIRE

Les fonctionnaires travaillent-ils de plus en plus ? Un double inventaire des recherches sur l’activité des agents publics

Gilles Jeannot

123

LECTURES CRITIQUES

Les nouveaux souffles dans l'analyse des systèmes électoraux

Jean-Benoît Pilet

141

COMPTES RENDUS

Frédéric Gros, États de violence. Essai sur la fin de la guerre
Jean-Marie Donégani

148

Denis Lacorne, De la religion en Amérique. Essai d‘histoire politique

Odille Rudelle
150
Olivier Costa, Éric Kerrouche, Qui sont les députés français? Enquête sur des élites inconnues

Muriel Rambour

152

Odd Arne Westad, The Global Cold War. Third World. Interventions and the Making of Our Times
Bastien Hirondelle
153

Georges Corm, Le Proche-Orient éclaté. 1956-2007
Jean-Pierre Filiu
155

Philippe Raimbault (dir.), La Puissance publique à l’heure européenne
Julien Barroche
156

REVUE DES REVUES

159

INFORMATIONS BIBLIOGRAPHIQUES
167