Revue Française de Science Politique volume 58 n°4 2008

 

Quand les ministères s’affrontent sur les pouvoirs de police. La légalisation de l’infiltration dans la lutte contre le trafic de stupéfiants

Cet article examine la mise à l’agenda de la légalisation de l’infiltration policière dans des réseaux de trafic de stupéfiants, intervenue en 1991 à la suite de l’incarcération de douaniers accusés de provocation et qui prélude à l’extension de ces procédés réalisée par la loi « Perben 2 » de 2004. Prise dans l’urgence, elle s’inscrivait dans un contexte de redéfinition des compétences douanières consécutive à l’abolition des « frontières intérieures » de l’Union européenne, qui faisait à l’époque l’objet d’un bras de fer entre les ministères concernés (Budget, Intérieur, Justice). En suivant les tractations suscitées par le projet de loi, l’auteur montre comment le ministère de la Justice a profité d’une fenêtre d’opportunité pour réaliser ses objectifs, au grand dam du ministère de l’Intérieur, impuissant à faire prévaloir ses propres intérêts. Bien que contrainte à un compromis, la douane a tiré son épingle du jeu en faisant reconnaître, pour l’avenir, la légitimité de ses activités « sous couverture ».

Ministerial rivalries and police powers  : undercover operations and the fight against drug trafficking in France

This article examines how police undercover techniques dealing with drug-trafficking were put on the agenda and legalised in France. Occurring in 1991, after Customs officers were imprisoned for an illegal sting operation, this first step was followed in 2004 by a further extension of proactive police powers. The 1991 law was enacted in an emergency situation, but it must be set in the context of a restructuring of Custom’s interventions, as a consequence of European unification and the abolition of “inner borders”. At the time, this matter provoked a trial of strength between the various ministries involved (Budget, Interior and Justice). Retracing step by step the discussions between these stakeholders, the author shows that the ministry of Justice was able to use a window of opportunity to further its own objectives, to the great displeasure of the ministry of Interior which was unable to prevent it. Despite having to accept a compromise, however, the Customs managed to legitimise its future undercover operations.

 

L’intercommunalité, créature de l’État. Analyse socio-historique de la coopération intercommunale. Le cas du bassin chambérien

Les analyses de l’objet intercommunal tendent à confronter, en écho à l’opposition centre-périphérie, les velléités de réforme du pouvoir central et les capacités de résistance/neutralisation des élus locaux, concluant souvent au retrait progressif de l’un au bénéfice des autres. Cet article a pour objet de repenser le rôle de l’État dans le fonctionnement politique des institutions intercommunales. En étudiant l’agglomération chambérienne sur le temps long et en soulignant les effets sociopolitiques de l’institution, on montre que la structure intercommunale et les élus qui l’habitent sont marqués durablement par l’orientation décisive donnée initialement par les services déconcentrés de l’État. Dès lors, l’intercommunalité apparaît être une « créature de l’État » qui, même si elle échappe aux desseins de ses concepteurs, fonctionne comme un dispositif d’intégration politique particulièrement efficace.

Local authorities’ cooperation, “creature of the state” ? A socio-historical analysis of municipal cooperation in the French area of Chambéry

Literature on municipal cooperation tends to oppose, in accordance with centre/periphery distinction, the urge for reform by the central State and the capacities of resistance of local governments, thus concluding that there has been a loss of power of the French State over the latter. This article contributes to rethink the political role of central State in inter-municipal institutions. Based on a long-term study of the French agglomeration of Chambéry, it focuses on the social and political effects of institutions. In particular, it analyses how State representatives originally played a key role in institutional design, giving local cooperation a decisive and sustainable orientation. In such a perspective, municipal cooperation appears to be a ‘creature of the State’ which, while escaping its initial purposes, works as a particularly effective mechanism of political integration.

 

Les clubs politiques « informels », acteurs du basculement de la Perestroïka ?

Cet article tente d’éclairer le basculement d’un mouvement politique dans l’opposition radicale, celui des clubs « informels » moscovites de la Perestroïka (1986-1991). De petits écarts chronologiques d’entrée dans le mouvement ont produit des comportements tendanciellement différents chez les acteurs et conduit à une radicalisation. Créés par des oppositionnels de longue date, les premiers clubs ont adopté une position modérée à l’égard des « réformateurs » du Parti. Or, dans le contexte de délitement du système, le mouvement bascule dans l’opposition frontale avec l’arrivée d’acteurs que rien ne prédisposait à être radicaux. C’est une combinaison de dispositions, de hasards biographiques et de la conjoncture politique au moment de l’engagement qui peut rendre compte de cette différence de positions.

The political « informal » clubs as actors of the sudden change in Perestroika’s course

This article focuses on how the movement of « informal » political clubs in Moscow suddenly turns to radical opposition during Perestroika (1986-1991). Depending on the periods they joined the clubs, their members tended to behave differently, and these time-lags between entry periods, however short they were, may account for the radicalisation of the movement. Though created by long-standing oppositionists, the first clubs took a moderate stand towards Party « reformers ». However, as the regime was losing its solidity, the movement swung to overt opposition with the entry of latecomers who had never been opposition-minded before but unexpectedly turned radical. This difference in positions can be accounted for by the actors’ predispositions, the opportunities they had in their past trajectories, and the structure of political competition peculiar to the periods of their involvement in the movement.

 

Pourquoi les partis gouvernementaux perdent-ils les élections intermédiaires ? Enquête Eurobaromètre 2004 et élections européennes

L’objectif de cet article est de tester certaines des conséquences de la théorie des élections de second ordre au niveau individuel. La principale hypothèse testée est que plus l’élection de premier ordre (nationale) est éloignée et moins les électeurs tendent à voter pour le parti au gouvernement. Une recherche au niveau individuel permet de déterminer quel type de comportement la théorie prédit et pour quel type de personnes. Nous utilisons les données d’Eurobaromètre 2004 : elles couvrent 15 pays et environ 16 000 individus. Les résultats montrent que la théorie des élections de second ordre se vérifie au niveau micro et que cela est dû à une volatilité et à une abstention différentielle des électeurs proches du gouvernement. Ils montrent également que le diplôme est la variable qui explique le mieux ce comportement électoral.

Why governmental parties are loosing second-order elections ? 2004 Eurobarometers data and european elections

The aim of this paper is to test some of the consequences of the second-order elections theory at the individual level. The main hypothesis tested is that the more distant people are from a first order election (national) the less they like their government. An individual research allows to determinate for what kind of people this theory works. The idea is to make temporal inferences using simultaneous individual data. We use the 2004 Eurobarometer data : it covers 15 countries and approximately 16 000 individuals. Our results confirm the second-order election theory at the individual level. They show also that both the differential volatility and the differential abstention explain the electoral defeat of the governmental party. Particularly, education is the principal variable to identify the people accountable of this defeat.

 

Pour un dialogue entre science politique et science studies

Les deux disciplines de science politique et de science studies utilisent toutes deux les mots de « politique » et de « science », mais dans des sens qui semblent incommensurables. L’article propose d’expliquer aux spécialistes des sciences politiques l’emploi quelque peu inhabituel qui est fait de ces termes par les praticiens des études sur les sciences, de façon à établir un dialogue entre les deux disciplines. Il montre en particulier qu’un seul des sens du mot « science » (sur quatre) suppose une coupure radicale entre science et politique (qui peut prendre six sens). Cet effort de clarification effectué permettrait d’abandonner l’idée qu’il existe deux domaines distincts (la science et la politique) et permettrait aux disciplines de collaborer en qualifiant les différents stades des affaires (les issues) qui forment la vraie substance des sciences aussi bien que des politiques.

A dialogue between political science and science studies

The two disciplines of political science and science studies both use the words ‘politics’ and ‘science’, and yet their meaning are so different that they seem incommensurable : an effort is made to explain to political scientists the various uses of those words as it is used by the science studies practitioners and how they could relate to political science properly speaking.  The paper shows that only one meaning (out of four) of the word ‘science’ does actually distinguish it in a radical way from ‘politics’ (which may take six different meanings). Once those meanings have been circumscribed, instead of defining distinct domains of science and politics, a more fruitful collaboration between science studies and political science could be developed around the following of issues.

 

 

 

VOLUME 58

NUMÉRO 4

Août 2008

 

ARTICLES

 

Quand les ministères s’affrontent sur les pouvoirs de police. La légalisation de l’infiltration dans la lutte contre le trafic de stupéfiants

 

 

 

René Lévy

 

 

569

L’intercommunalité, créature de l’État. Analyse socio-historique de la coopération intercommunale. Le cas du bassin chambérien

 

 

 

David Guéranger

 

 

595

Les clubs politiques « informels », acteurs du basculement de la Perestroïka ?

 

 

Carole Sigman

 

617

NOTE DE RECHERCHE

 

Pourquoi les partis gouvernementaux perdent-ils  les élections intermédiaires ? Enquête Eurobaromètre 2004 et élections européennes

 

 

 

Raùl Magni Berton

 

 

643

CONTROVERSE

 

Pour un dialogue entre science politique et science studies

 

 

Bruno Latour

 

657

LECTURES CRITIQUES

 

La « France des petits-moyens » et le renouveau de l’analyse localisée des groupes sociaux

 

 

Frédéric Sawicki

 

679

DE LA DÉMOCRATIE PARTICIPATIVE

 

 

 

Loïc Blondiaux, Le nouvel esprit de la démocratie. Actualité de la démocratie participative

 

 

Julien Talpin

 

682

Martine Revel, Cécile Blatrix, Loïc Blondiaux, Jean-Michel Fourniau, Bertrand Hériard Dubreuil, Rémi Lefebvre (dir.), Le débat public. Une expérience française de la démocratie participative

 

 

 

 

Elsa Mouras

 

 

 

684

COMPTES RENDUS

 

 

 

Yves Déloye, Olivier Ihl, L'acte de vote

 

Christophe Voilliot

686

José Ramón Montero, Richard Gunther, Juan J. Linz (dir.), Partidos políticos. Viejos conceptos y nuevos retos

 

 

 

Jean-Baptiste Harguindéguy

 

 

687

Olivier Blondeau (avec Laurence Allard), Devenir média. L’activisme sur Internet, entre défection et expérimentation

 

 

 

Pascal Décarpes

 

 

689

François Foret (dir.), L’espace public européen à l’épreuve du religieux

 

Pierre Bréchon

 

 

690

 

 

 

REVUE DES REVUES

 

693