Revue Française de Science Politique volume 59 n°1 2009

 

Militants des partis de droite

Florence Haegel

La mobilisation partisane de droite : Les logiques organisationnelles et sociales d’adhésion à l’UMP

 

Sachant que le succès électoral de N. Sarkozy en 2007 prend ses racines dans la large mobilisation partisane qui l’a précédé, cet article analyse les logiques organisationnelles et sociales de l’adhésion à l’UMP en exploitant une enquête menée auprès des adhérents réunis en congrès en novembre 2004. Il met en lumière les traits spécifiques du lien partisan à l’UMP, tel qu’il est façonné par l’organisation. Moins investis dans la vie interne du parti que leurs homologues socialistes, les adhérents ont souvent en commun un engagement au contexte électoral, voire présidentiel. S’agissant des logiques sociales, l’article souligne à la fois l’importance des liens d’interconnaissance, la persistance des clivages classiques (qu’il s’agisse de la religion ou de l’opposition entre secteur privé et secteur public) et insiste sur la nécessité d’étudier la composante « populaire » de la droite organisée en examinant de plus près le monde de ces employés – nombreux, quoique sur bien des points atypiques – qui s’engagent à l’UMP.

 

Right-wing Party Mobilization in France : The Organizational and Social Logic Behind UMP Membership

 

In view of the strong party mobilization in the run-up to Nicolas Sarkozy’s electoral success in 2007, this article analyzes the organizational and social logic behind UMP membership based on a survey of UMP members conducted at a congress in November 2004. It emphasizes the particularities of UMP party linkage as formulated by the party organization itself : compared to PS members, UMP members are less committed to internal party matters, and in many cases first get involved in the party in the context of (above all, presidential) elections. As far as social logic are concerned, this article underlines the importance of ties based on prior acquaintance and the persistence of traditional cleavages (religion vs. secularism, public vs. private sector), and stresses the need to study the working-class component of the French right-wing organization by taking a closer look at the world of the numerous, if rather atypical, white collar members of the UMP.

 

Stéphanie Dechezelles

Des vocations intéressées ? Les récits d’engagement des jeunes de Forza Italia à l’aune du modèle rétributif du militantisme

 

À la différence de la plupart des partis de « gauche » comme de « droite », certains jeunes militants de Forza Italia n’hésitent pas à présenter leur engagement comme un moyen d’accéder à des rétributions d’ordre matériel et/ou symbolique. Contrastant fortement avec le modèle désormais classique des rétributions – qui suppose un déni de l’intérêt militant pour toute forme de récompense dernière autre que la victoire de la cause, une mise en avant du sacrifice et la primauté aux motivations idéologiques – les discours de ces jeunes berlusconiens recueillis par entretiens au début du second gouvernement Berlusconi (2001-2006) invitent à reconsidérer les acquis de la sociologie de l’engagement. Néanmoins, derrière la promotion d’un activisme de type entrepreneurial demeurent les difficultés, les risques en cas d’échec individuel, les regrets devant le faible degré d’activités collectives de socialisation, la fragilité des positions acquises qu’implique un tel mode d’engagement. Au final, le modèle des vocations intéressées que les jeunes de Forza Italia enquêtés incarnent reflète les transformations plus générales affectant les systèmes politiques démocratiques.

 

Self-interested Careers ? Learning About Forza Italia Young Activists through Incentive-Driven Models of Political Activism

 

In contrast with most young activists in left- and right-wing parties, some of the young Forza Italia activists do not hesitate to present their involvement as a means to obtain material and/or symbolic rewards. Interviews with young Berlusconians conducted at the beginning of Berlusconi’s second term (2001–2006) starkly belie what is now the classic model of incentives for political activism (which presupposes a denial of interest in rewards of any kind other than victory for one’s cause, an emphasis on sacrifice and the primacy of ideological motivations). Moreover, they invite sociologists to reconsider evidence from the literature on political activism. Nevertheless, behind the defense of entrepreneurial activism lie several difficulties: the risks in case of individual failure, regrets about the relative dearth of collective activities geared toward socialization, the fragility of the positions this type of involvement implies. In the final analysis, the model of a self-interested calling that these young Forza Italia activists embody reflects the more general transformations that democratic political systems have undergone.

 

Lucie Bargel et Anne-Sophie Petitfils

« Militants et populaires ! » Une organisation de jeunesse sarkozyste en campagne. L’activation périodique d’une offre organisationnelle de militantisme et ses appropriations pratiques et symboliques

 

Avec la conquête du parti par N. Sarkozy et la perspective de l’élection présidentielle de 2007, les Jeunes populaires (JP), la fédération des moins de trente ans de l’UMP, prennent une place centrale dans son affichage « militant ». À partir d’une enquête par questionnaires, menée lors des Universités d’été des JP en septembre 2006, et de nos terrains d’enquête respectifs, ce travail étudie les effets de l’activation d’une offre conjoncturelle de militantisme par les directions de l’UMP et des JP sur le rapport à l’engagement de ces jeunes de droite. Après avoir analysé la diversité de leurs appropriations pratiques et symboliques de cette identité « militante », il s’attache aux mécanismes de division sociale du travail et de sélection des cadres de l’organisation.

 

« Militant, grassroots and popular ! » A Sarkozyist youth organization campaign slogan. The periodic activation of an activist campaign and its practical and symbolic appropriations

 

With Nicolas Sarkozy leading the French conservative party (UMP) and the prospect of the presidential election coming up in 2007, the Jeunes populaires (JP, i.e. « Grassroots/popular Youth », the UMP organization for members under 30) came center-stage in the party’s « activist » show. Based on a questionnaire survey conducted at JP summer schools in September 2006 and on various fieldwork, this article concerns the activation of a short-term activist campaign by the UMP and JP and its effects on political involvement among these right-wing youths. After highlighting various practical and symbolic aspects of this « activist » identity, we examine patterns in the social division of labor inside this youth organization and in the selection of its leaders.

 

Mobilisations de chômeurs

Lilian Mathieu

Éléments pour une analyse des coalitions contestataires. La lutte contre le sida et le mouvement des chômeurs, de « Nous sommes la gauche » à Occupation

 

L’article se penche sur les conditions de formation des coalitions entre mouvements sociaux à partir de l’étude de l’alliance qui s’est tissée entre deux organisations de mouvement social actives sur des terrains de lutte distincts : Act Up et Agir ensemble contre le chômage (AC !). Cette coalition s’est exprimée au cours de deux épisodes contestataires de l’année 1997, tout d’abord par le ralliement de militants d’AC ! à l’appel « Nous sommes la gauche » lancé par Act Up au moment de la dissolution de l’Assemblée nationale, puis par la participation en décembre d’Act Up au mouvement des chômeurs. Si l’alliance s’est cristallisée autour de la revendication, portée par certaines fractions d’AC ! d’un revenu minimum garanti, celle-ci ne revêtait pas le même sens ni ne répondait aux mêmes enjeux pour les deux groupes, ce qui invite l’analyse des coalitions à s’intéresser davantage à ce qui distingue les unités coalisées qu’à ce qui semble, mais en apparence seulement, les rapprocher.

 

An Analysis of Protest Coalitions in France. The Fight Against Aids and the Unemployed Movement in 1997–1998

 

The aim of this article is to study coalitions between social movements. It is based on an analysis of the alliance between two organizations active in two different social movements: Act Up and Agir ensemble contre le chômage (AC !). This coalition was forged in the course of two protest episodes in 1997 : first, with the rallying of some members of AC ! to the appeal « Nous sommes la gauche » (« We are the left ») launched by Act Up when faced with the dissolution of the French National Assembly ; and second, with Act Up’s joining the unemployed movement in December. While this alliance crystallized around the call for a guaranteed minimum wage, it did not have the same meaning or involve the same stakes for both groups. Consequently, the analysis of coalitions should focus more on the real differences, rather than on the seeming similarities, between such allied groups.

 

Sophie Béroud

Les opérations « Robin des Bois » au sein de la CGT Énergie. Quand la cause des chômeurs et des « sans » contribue à la redéfinition de l’action syndicale

 

Le mouvement de protestation que la CGT Énergie a mené au printemps 2004 contre le projet de loi modifiant le statut d’EDF et de GDF témoigne d’un renouvellement des pratiques syndicales. D’une stratégie tournée vers la défense du statut des agents, la direction du syndicat a fait évoluer la mobilisation vers une lutte en faveur du droit à l’énergie, en particulier pour les ménages en difficulté. Les opérations « Robins des bois » de remise du courant à des ménages privés d’électricité sont emblématiques de cette orientation née de la participation de syndicalistes à des mouvements de défense des sans-emploi. Pour autant, elles ne font pas l’unanimité au sein de la CGT Énergie et ne débouchent pas sur le développement d’un mouvement d’action durable entre syndicalistes et militants chômeurs. Ces difficultés éclairent le caractère non linéaire, et parfois contradictoire, des tentatives de redéfinition des marges de l’action syndicale.

 

The French Utility Workers’ « Robin Hood » Crusade. When the Cause of the Unemployed and « Have-Nots » Helps Redefine Industrial Action

 

The protest movement launched by the French labor union CGT Energy in the spring of 2004 against a bill to change the status of national utilities EDF and GDF testifies to a renewal of organized labor practices. Initially adopting a strategy geared toward defending the status of civil servants, the union leadership eventually turned the movement into a crusade for a « right to energy », particularly for households in financial straits. The so-called "Robin Hood » crusade, in which utility workers put households whose electricity had been cut off back on the power grid, is symbolic of this orientation arising out of unionists’ participation in movements to defend the unemployed. For all that, such acts of solidarity are not unanimously endorsed within CGT Energy and have not given rise to an enduring movement of organized action uniting unionists and unemployed activists. These complexities shed some light on the non-linear, and sometimes conflicting, nature of attempts to redefine the fringes of industrial action.

 

 

VOLUME 59

NUMÉRO 1

Février 2009

 

MILITANTS DES PARTIS DE DROITE

 

L’engagement dans des partis politiques de droite

 

Lucie Bargel,

Stéphanie Dechezelle

 

5

La mobilisation partisane de droite. Les logiques organisationnelles et sociales d’adhésion à l’UMP

 

 

Florence Haegel

 

7

Des vocations intéressées ? Les récits d’engagement des jeunes de Forza Italia à l’aune du modèle rétributif du militantisme

 

 

 

Stéphanie Dechezelle

 

 

29

« Militants et populaires ! » Une organisation de jeunesse sarkozyste en campagne. L’activation périodique d’une offre organisationnelle de militantisme et ses appropriations pratiques et symboliques

 

 

 

Lucie Bargel,

Anne-Sophie Petitfils

 

 

 

51

MOBILISATIONS DE CHÔMEURS

 

Éléments pour une analyse des coalitions contestataires. La lutte contre le sida et le mouvement des chômeurs, de « Nous sommes la gauche » à Occupation

 

 

 

 

Lilian Mathieu

 

 

 

77

Les opérations « Robin des Bois » au sein de la CGT Énergie. Quand la cause des chômeurs et des « sans » contribue à la redéfinition de l’action syndicale

 

 

 

Sophie Béroud

 

 

97

LECTURES CRITIQUES

 

La responsabilisation, instrument d’une modernisation autoritaire

 

 

Noëlle Burgi

 

121

Le retour de l’État américain et la montée du conservatisme

 

 

Anne-Laure Beaussier

 

130

COMPTES RENDUS

 

 

 

Gilbert Rist, Le développement. Histoire d’une croyance occidentale

 

 

Muriel Rambour

 

134

Franck Gaudichaud (dir.), Le volcan latino-américain. Gauches, mouvement sociaux et néolibéralisme au Sud du río Bravo

 

 

 

Jacobo Grajales

 

 

138

Didier Chaudet, Florent Parmentier, Benoît Pélopidas, L’Empire au miroir. Stratégies de puissance aux États-Unis et en Russie

 

 

Nicolas Lemay-Hébert  

 

 

 

139

Barry Naughton, The Chinese Economy. Transitions and Growth

 

 

Alessia Lefébure

 

141

Barry R. Weingast, Donald A. Wittman (eds), The Oxford Handbook of Political Economy

 

 

Alain Wolfelsperger

 

142

Éric Marlière, La France nous a lâchés ! Le sentiment d’injustice chez les jeunes des cités

 

David Gouard

 

143

 

 

 

REVUE DES REVUES

 

 

147

DROIT DE RÉPONSE

 

157