| Revue 
    Française de Science Politique volume 59 n°2 2009 | 
  
Le genre à la frontière entre policy et politics
  
    
    
Penser
    le genre en science politique. Vers une typologie des usages du concept
    
    
Le
    genre constitue désormais un des concepts couramment utilisés pour l’analyse
    des politiques publiques. Cependant, la richesse croissante de ce corpus de
    recherches, et la variété des approches mobilisées invite à prendre un recul,
    historique et analytique, pour tenter de discerner d’éventuelles différences
    dans la façon dont le concept de genre est utilisé dans ces travaux, en France
    et ailleurs. L’introduction du concept de genre est venue depuis les années
    quatre-vingt compliquer l’opposition princeps entre recherches « sur les
    femmes » et recherches féministes qui avait préalablement structuré ce
    champ de recherche. Toutefois, le concept de genre est susceptible de
    différentes définitions et joue dans ces travaux des rôles analytiques
    différents. Nous proposons donc un essai de typologie des différents usages du
    genre qui vise à souligner la nécessité d’expliciter le statut du genre dans
    l’analyse. Il ne s’agit pas de prôner une unique façon de procéder :
    rendre explicite le statut du genre dans l’analyse doit plutôt permettre
    d’assurer une cohérence entre la méthodologie employée et les prémisses
    théoriques.
    
    
The use of gender in political science : Towards a
    typology of uses of the concept
        
    
The
    concept of gender is now widely used in the analysis of public policies. The
    abundant research and variety of approaches deployed in this area merit,
    therefore, an effort to step back and gain perspective, both historical and
    analytical. The purpose of doing so is to discern possible differences in the
    ways the concept of gender is used in such analyses, in France and elsewhere.
    Beginning in the 1980s, the introduction of the concept of gender complicated
    what had been a primary and initial distinction, one between research focused
    on “women” and feminist research. The concept of gender itself has several
    definitions and its analytical location varies in different studies. Hence our
    goal is to map a typology of the various uses of gender, with the objective
    being to underscore the need to make the status of gender explicit in any
    analysis. The point is not to endorse any single approach. Rather, articulating
    the status of gender in analyses of public policy will ensure a measure of
    coherence between the methodology employed and the theoretical premises
    advanced.
      
    
Isabelle
    Engeli
    
La
    problématisation de la procréation médicalement assistée en France et en
    Suisse. Les aléas de la mobilisation féministe
        
    
Dans la
    controverse publique relative à la régulation du secteur de la procréation
    médicalement assistée, les féministes jouèrent un rôle contrasté. Malgré un
    discours critique très similaire, la problématisation féministe connu une
    trajectoire très différente en France et en Suisse. En France, elle se heurta à
    une controverse publique centrée sur la légitimité du désir d’enfant, ce qui
    mit le mouvement féministe face à ses contradictions internes quant à la
    maternité et l’a rapidement exclu du débat. En Suisse, en revanche, le discours
    féministe sur la procréation médicalement assistée s’intégra dans une plus
    large contestation de la légitimité de la procréation médicalement assistée
    menée à la fois par la gauche et par les acteurs pro-life. Cette résonance du
    discours permit aux féministes en Suisse d’influencer de manière plus efficace
    la problématisation de la question des nouvelles technologies reproductives.
        
    
The problematization of assisted conception in France and Switzerland : Divergence within the feminist
    movement
    
    
Feminist movements have played contrasting roles in the
    public controversy over regulation of the assisted reproductive technology
    sector. While adopting a similar critical discourse, the feminist
    problematization of the issue actually achieved its ends in very different ways
    in France and Switzerland. In France, feminist movements were faced with a
    public controversy mainly focused on the legitimacy of the desire for children.
    This left the French feminist movements with their own internal contradictions
    regarding women’s mothering vocation and thus severely impaired their capacity
    to influence the debate. In Switzerland, on the contrary, the alarmist feminist
    discourse on reproductive technology coincided with the critical stance adopted
    by left-wing parties and, to some extent, pro-life movements. This
      discursive resonance gave the Swiss feminist movements greater leverage in the
      public debate.
      
    
Laurie Boussaguet
          
    
    
L’objectif de cet article est d’analyser comment des
    militantes féministes sont devenues les actrices-clefs de l’émergence du
    problème des abus sexuels sur mineurs en Europe dans les années 1980. Engagées
    dans la lutte contre le viol des femmes, elles prennent conscience des
    violences sexuelles faites aux enfants et parviennent à inscrire cet enjeu sur
    l’agenda public et politique, en mobilisant des répertoires d’action variés et
    en ayant recours à des relais pertinents, qu’il s’agisse des professionnels
    s’intéressant aux enfants victimes ou aux ministres femmes qui détiennent les
    portefeuilles de la famille ou de l’égalité hommes-femmes à cette époque-là. Ce
    rôle central des militantes féministes permet en outre de réfléchir au lien qui
    existe entre prise de parole (construction particulière de l’enjeu sous l’angle
    de l’inceste et des violences patriarcales au sein de la famille) et prise de pouvoir
    (monopole féministe de l’émergence dans les années 1980) ; ou comment la
    lutte sur le sens à donner à un phénomène peut modifier les rapports de force
    entre acteurs en présence. Cette lecture féministe du problème des abus sexuels
    sur mineurs ne dure d’ailleurs qu’un temps ; après
    « l’inceste », la « pédophilie » fait son entrée sur les
    agendas européens dès la décennie suivante.
    
    
The agenda-setters : Feminist activists and the
    emergence of child sexual abuse in Europe
      
    
The object of this article is to analyse how feminist
    activists became the standard-bearers in the emergence of the issue of child
    abuse in Europe during the 1980s. While waging a widespread campaign against
    the rape of women, they came alive to the prevalence of sexual violence against
    children and managed to put this issue on the policymaking agenda. They did so
    by launching a wide range of political campaigns and by working hand in hand
    with professionals in the field and women ministers. Furthermore, the crucial
    role played by feminist activists points up the link between voice (involving a
    specific definition of child sexual abuse as incest and evidence of patriarchal
    violence inside the family) and empowerment (the feminist monopoly on the
    emergence of the issue and on agenda-setting in the ’80s). This feminist
    reading didn’t last long, though, for – after “incest” –
    “paedophilia” was to emerge on the European political agendas ten years later.
      
Sophie
    Jacquot
    
La fin
    d’une politique d’exception. L’émergence du gender
      mainstreaming et la normalisation. De la politique communautaire d’égalité
    entre les femmes et les hommes
    
    
Cet
    article analyse le processus de construction progressive d’une politique
    communautaire d’égalité entre les femmes et les hommes depuis les années 1970,
    puis le processus de mise sur agenda du principe d’intégration transversale
    d’une dimension de genre dans l’ensemble des politiques publiques (gender mainstreaming) au niveau
    communautaire, de la fin des années 1980 au début des années 2000. L’émergence
    puis l’institutionnalisation de cet instrument d’action publique sont à
    l’origine d’une modification graduelle de la conception et de la prise en
    compte du problème des inégalités entre les femmes et les hommes. Elles sont
    également révélatrices tant du changement profond qu’a connu la politique
    d’égalité de l’Union européenne que de l’évolution radicale de la distribution
    du pouvoir entre acteurs et actrices féministes et non féministes en son sein.
    
    
The end of an exceptionalist policy and the emergence and
    normalization of gender mainstreaming : On the EU gender equality policy
    
    
This
    article analyzes the process of
      progressive elaboration of the UE gender equality policy since the 1970s, and the agenda-setting process of gender mainstreaming at the EU level from the end
    of the 1980s to the beginning of the 2000s. The emergence and subsequent
    institutionalization of this policy instrument resulted in incremental changes
    in the notion, conceptualization and public treatment of the problem of gender
    inequalities. Our analysis of this process reveals the profound transformation
    that EU gender-equality policy underwent during that period, but also the
    dramatic shift in the distribution of power between feminists and non-feminists
    in the gender-equality struggle.
    
    
Anne Revillard
          
L’expertise
    critique, force d’une institution faible ? Le Comité du travail féminin et
    la genèse d’une politique d’égalité professionnelle en France (1965-1983)
    
    
Cet
    article analyse le rôle du Comité du travail féminin (1965-1983) dans la genèse
    d’une politique d’égalité professionnelle en France. Créé à la demande
    d’associations féminines, cet organisme consultatif se situe en marge du
    ministère du Travail (absence de pouvoir formel, moyens matériels et humains
    réduits au minimum). Il a toutefois compensé cette faiblesse par un usage
    stratégique de l’expertise critique, qui lui a permis d’apporter une
    contribution importante à la mise sur agenda de l’égalité professionnelle.
    L’analyse des conditions de production et de diffusion de cette expertise montre
    comment la situation du Comité à l’interface entre État et société civile, qui
    explique sa faiblesse institutionnelle, a simultanément fonctionné comme une
    ressource politique.
        
    
Critical expertise – the strength of a weak
    institution ? The Comité du travail
      féminin and the birth of equal employment policy in France
    (1965–1983)
    
    
This article analyzes the role played by the Comité du
    travail féminin (1965–1983) in the genesis of equal employment policy
    in France. Set up at the urging of women’s organizations, this advisory board
    held a marginal position in the French Department of Labor (no formal power,
    minimal material and human resources). It made up for this weakness, however,
    by making strategic use of its critical expertise, which enabled it to make a
    significant contribution to the definition of equal employment policy. Our
    analysis of the way in which the Committee produced and disseminated this
    expertise shows how its standing at the interface between the State and civil
    society, while at the root of its institutional powerlessness, simultaneously
    served as a political asset.
    
    
    
    
Cet
    article examine ce que deviennent les mobilisations pour une cause sous l’effet
    de sa mise en loi, à partir du cas des lois de 1999 et 2000 sur la parité. Loin
    de provoquer une diminution des luttes, l’inscription de la parité sur l’agenda
    gouvernemental en 1997 a favorisé le passage d’une nébuleuse à une coalition de
    cause, caractérisée par un degré accru d’alignement des perceptions et de
    coordination entre des actrices issues de différents univers : militantes
    associatives, intellectuelles, femmes politiques et fémocrates. Cette coalition
    transversale a influencé la manière dont les lois sur la parité ont été votées.
    Plus généralement, ces reconfigurations reflètent les caractéristiques
    structurelles de l’espace de la cause des femmes, dont les mobilisations pour
    la parité sont l’émanation.
    
    
When agenda-setting revives feminist campaigns : The
    field of women’s advocacy and the making of the gender parity reform
    (1997–2000)
    
    
This article examines what happens to a campaign for a
    cause when it gets turned into law : the making of the 1999 and 2000
    gender “parity” laws serves here as a case in point. Far from taking the wind
    out of their sails, putting parity on the French government’s agenda in 1997
    transformed a bunch of scattered movements into a women’s advocacy coalition
    marked by a closer alignment of outlooks and a tighter coordination between
    proponents in diverse social domains : members of women’s autonomous
    organizations, femocrats, women intellectuals and politicians. This
    heterogeneous coalition would eventually bring its influence to bear on the
    final terms of the parity laws. More generally, these transformations reflected
    the structural characteristics of the “field of women’s advocacy” that had
    given rise to the gender parity movement.
    
    
Les
    mouvements féministes et l’élaboration des politiques dans une perspective
    comparative. Vers une approche genrée de la démocratie
        
    
L’objectif
    de cette analyse est de situer les études de cas présentées par les articles de
    ce numéro spécial dans un contexte comparatif de construction théorique. La
    première partie situe l’étude de l’influence du féminisme sur la mise à
    l’agenda dans les champs disciplinaires plus vastes des approches féministes
    comparées et des politiques publiques comparées. La partie suivante propose un
    cadre théorique et une approche méthodologique spécifique inspirés par les
    approches à la fois féministes et non féministes des politiques publiques. Dans
    les deux dernières parties, ce cadre est appliqué à l’analyse des cas d’étude
    pour comprendre les dynamiques de formation des politiques et pour former des
    hypothèses sur les facteurs déterminants de l’influence féministe dans leur
    élaboration. En conclusion, nous revenons sur les implications plus larges des
    résultats empiriques des articles de ce numéro.
        
    
Feminist movements and the elaboration of policies in a
    comparative perspective : Towards a gendered approach of democracy
    
    
The goal of this article is to place the policy case
    studies presented in this special issue into a comparative theory building context.
    The first part of the article situates the study of the influence of feminism
    on agenda setting within the larger areas of policy studies
    – Feminist Comparative Policy and Comparative Public Policy. In the
    next part, the analysis proposes a theoretical framework and a specific
    methodological approach inspired both by feminist and non feminist work. In the
    last two parts, the framework is applied to the analysis of the policy case
    studies in order to understand the dynamics of policy formation and to generate
    propositions about the determining factors for feminist influence in the
    formation of public policy more generally. In the conclusion, the analysis
    returns to the theoretical and methodological implications of these empirical
    articles in the special issue for the study of public policy in a comparative
    perspective.
    
    
    
    
    
| VOLUME
        59
                 | NUMÉRO
        2
                 | Avril 2009
                 | ||
| 
         | ||||
| LE
        GENRE À LA FRONTIÈRE ENTRE POLICY ET POLITICS
         
             | ||||
| Mobilisations
        féministes et mise à l’agenda de nouveaux problèmes publics
           
             | Laurie Boussaguet,
                Sophie Jacquot
                 | 
         173
                 | ||
| Penser
        le genre en science politique. Vers une typologie des usages du concept
           
             | Jane Jenson,
                Éléonore Lépinard
                 | 
         183
                 | ||
| La problématisation de la procréation médicalement
        assistée en France et en Suisse. Les aléas de la mobilisation féministe
           
             | Isabelle Engeli
           | 
         
             203
               | ||
| Les
        faiseuses d’agenda. Les militantes féministes et l’émergence des abus sexuels
        sur mineurs en Europe
           
             | Laurie Boussaguet
             | 
         221
                 | ||
| La
        fin d’une politique d’exception. L’émergence du gender mainstreaming et la normalisation de la politique
        communautaire d’égalité entre les femmes et les hommes
           
             | Sophie Jacquot
               | 
         
             
           247
               | ||
| L’expertise
        critique, force d’une institution faible ? Le Comité du travail féminin
        et la genèse d’une politique d’égalité professionnelle en France (1965-1983)
           
             | Anne Revillard
           | 
         
             
           279
               | ||
| Quand
        la mise à l’agenda ravive les mobilisations féministes. L’espace de la cause
        des femmes et la parité politique (1997-2000)
                 
             | Laure Bereni
             | 
         
             301
               | ||
| Les
        mouvements féministes et l’élaboration des politiques dans une perspective
        comparative. Vers une approche genrée de la démocratie
                 
             | Amy G. Mazur
               | 
         
             325
               | ||
| LECTURES
        CRITIQUES
                 
             | ||||
| Une
        relecture par la violence de l’histoire du Moyen-Orient contemporain
                 
             | Elizabeth
            Picard
                 | 
         353
                 | ||
| Le
        féminisme d’État : une notion polysémique au service de la représentation
        politique
         
             | Sophie
            Stoffel
                 | 
         359
                 | ||
| L’ordre du temps
        constitutionnel
                 
             | Odile Rudelle
         | 365
                 | ||
| COMPTES RENDUS
                 
             | 
         | 
         | ||
| Yohann Aucante,
        Alexandre Dézé (dir.), Les systèmes de partis dans les démocraties
          occidentales. Le modèle du parti-cartel en question
             
             | Blaise Magnin
           | 
         
             366
               | ||
| Nicolas Hubé, Décrocher la « Une ». Le choix
        des titres de première page de la presse quotidienne en France et en
        Allemagne (1945-2005)
                   
             | Pascal Décarpes
           | 
         
             368
               | ||
| Romain Souillac, Le mouvement
        Poujade. De la défense professionnelle au populisme nationaliste (1953-1962)
                   
             | Caroline
          Frau
               | 
         
             369
               | ||
| Bryan
        D. Jones, Frank R. Baumgartner, The Politics of Attention. How
          Government Prioritizes Problems 
 | Rodolphe
            Gouin
           | 
         371
                 | ||
| Isabelle Bruno, À vos marques, prêts...
        Cherchez !
           | Nicolas
        Matyjasik
           | 374
                 | ||
| 
         | 
         | |||
| REVUE DES REVUES
                 | 
         | 377
                 | ||