Colloque "De la musique au politique"
20 juin 2008
Responsable scientifique : Jean-Marie Donegani
Présentation scientifique
Les rapports entre musique et politique sont avérés. Non seulement en raison des réflexions que la tradition philosophique a proposées depuis Platon ou Saint Augustin jusquà Adorno ou Wittgenstein, mais aussi parce que lhistoire a accordé une attention de plus en plus soutenue à des phénomènes tels que les relations entre art vocal et art de gouverner, les résonances nationalistes de lopéra du Risorgimento ou les politiques musicales des régimes totalitaires tandis que la sociologie, avec Max Weber et Maurice Halbwachs notamment, insistait sur la dimension sociale de linvention et de la pratique musicales. Il reste que la science politique a jusquà maintenant fait peu de place à létude des phénomènes musicaux en tant que tels malgré les tentatives pionnières de Jean Touchard et de René Rémond qui, dans leur séminaire de 3ème cycle à Sciences Po, considéraient les uvres dart comme un objet privilégié de compréhension des sensibilités politiques.
Que nous apprend la musique sur la vie de la Cité ? Dans quelle mesure la musique relève-t-elle de la réflexion qui, constituant un ensemble social en collectivité, engage ses membres à se saisir de laction commune, à en choisir la forme et la direction ? Poursuivant un questionnement initié par le numéro de la revue Raisons politiques de mai 2004 consacré à ce thème, cette journée détude de lAFSP a pour ambition de cerner les rapports entre le langage musical et la pensée politique et de sinterroger sur la possibilité de saisir les implications politiques dune activité qui se présente dabord comme déploiement de vérité et expression de légalité.
Depuis les années 1980, de nombreux travaux ont contribué à lélaboration du champ de recherche " musique et politique ", en France comme aux Etats-Unis. Quil sagisse de létude des rapports didentité, de la vie musicale et des institutions, de linscription des idées et des formes politiques dans lécriture musicale ou des usages de la musique dans la symbolique politique, la liste serait longue des colloques et des publications qui ont progressivement défini un nouveau cadre dinvestigation pour lanalyse politique. La localisation de la musique établit les frontières de la compréhension et de laltérité entre ses acteurs. La nature de la musique conditionne en partie la légitimité des politiques musicales et la compétence de chacun à en parler. Enfin, avec la différenciation sociale des musiques, penser la généralité, et donc gouverner la musique dune collectivité, ne relève plus de lévidence, mais fait problème. Pour une science politique de la musique, les rapports didentité ou de pouvoir, et leur évolution, déterminent le lien musical, et cest lhypothèse de cette détermination qui permet de lire la société dans ces pratiques. La musique est une manière de vivre ensemble, elle signifie et réalise, non pas seulement ce que chacun ressent individuellement, mais aussi ce que nous pouvons être collectivement. La science politique de la musique vise à se saisir activement de cette existence partagée et de ce devenir commun. Ainsi, assigner par principe la musique aux initiatives individuelles, cest décider pour soi-même et pour autrui dune organisation libérale et inégalitaire de lactivité musicale de sa pratique, sa pensée et ses institutions. Avant de référer ce choix à une nécessité naturelle ou sociale, il sagit bien là de poser une question de gouvernement, de reconnaître un besoin dinformation, et de conduire une enquête adéquate.
Considérer la musique dans sa relation à la culture et au pouvoir soppose ainsi à lhypothèse qui rapporterait principalement la musique à une logique immanente du son ou à une appréhension personnalisante de luvre, et qui placerait la musique à lécart de la société et du pouvoir. Il sagit donc de sinterroger sur la manière dont la musique sarticule aux dispositifs machiniques du politique (institutions, systèmes, organisations), à ce qui les alimente (conflits, contradictions, convergences dintérêts) comme à ce quils produisent (politiques publiques, lois et réglementations, mais aussi messages et symboles).
Ainsi défini, le champ " musique et politique " est bien évidemment un questionnement sur les limites et les méthodes respectives de la musicologie et de la science politique. Aborder la musique dans son rapport au pouvoir, à la décision, à la négociation, à la stratégie, à lincorporation des normes et des règles renouvelle profondément la relation que peut avoir le musicologue avec lanalyse de la musique comme grammaire, comme forme ou comme intention énonciative. Une telle prise en compte des implications politiques de la musique oblige à repenser lanalyse musicale, à prendre en compte la part de stratégie qui guide les choix stylistiques du compositeur, à envisager autrement lherméneutique comme la réception des oeuvres. Symétriquement, la spécificité du langage musical, et notamment son identité autotélique, sa nature en même temps profondément logique et toutefois émotionnelle provoquent le politiste dans sa démarche dinterprétation du comportement de lhomme en société confronté à la production de sa propre histoire et à la construction toujours instable de ses relations à autrui. Pour comprendre à quel point la musique peut aider à se représenter comment lhomme pense et agit, peut imaginer la communauté de destin dans laquelle il sintègre, pour comprendre aussi combien, dans le politique, action, représentation et imagination sont indissociables, sans doute est-il nécessaire de se tourner encore une fois vers ces socio-politistes musiciens comme Rousseau ou Adorno qui, en interrogeant la musique, interrogent lintersubjectivité comme langage et qui, interrogeant lintersubjectivité, questionnent un projet qui est celui de construire un vivre ensemble.
Cette journée détudes engage la pensée politique de la musique en deux directions : dune part, la représentation politique en musique, et dautre part, linstitution de la musique dans le cadre dun régime politique. Tout dabord, les critères distinctifs dune oeuvre musicale, quils en définissent le style ou linscrivent dans une grammaire, participent du positionnement de chacun par rapport à autrui et à une communauté. Les formes musicales ainsi produites offrent des modèles pour penser la vie politique, ses régimes et ses acteurs : elles sont le tiers par lequel un être commun se donne à voir ou à entendre. La première session est ainsi consacrée à lexamen des liens entre représentation musicale et représentation politique. Ensuite, la démocratie confronte plus particulièrement la musique à une pluralité explicite. La deuxième session examine la fonction de la musique dans la formation dun espace public et dun sens commun fonction déterminée par les médiations et les créations culturelles sur lesquelles un gouvernement démocratique peut vouloir peser.
Une table ronde mettant en présence des acteurs de lenseignement, de la diffusion et de ladministration musicale terminera la journée.