Violences extrêmes

29-30 novembre 2001

Colloque sous la direction de

Jacques Sémelin (CADIS/EHESS-CNRS),

Nathalie Duclos (Rennes II)

et Isabelle Sommier (Paris I, CRPS)

Avec le soutien de la Maison des Sciences de l'Homme et du CNRS

 

Fondation Nationale des Sciences Politiques

Salle François Goguel — 56, rue des Saints-Pères – Paris 7ème

Programme

 

Depuis 1998, le séminaire transdisciplinaire "Violences et Conflits" animé par Jacques Sémelin à la Maison des Sciences de l'Homme (Paris), s'est donné pour objectif de renouveler les travaux sur la violence dans trois perspectives : violence et politique, les représentations de la violence, les sorties de la violence. Ce séminaire a donné lieu à un ensemble de 21 communications de chercheurs, universitaires et doctorants, réparties en 12 séances. Avec le recul de ces deux années (de fonctionnement), il apparaît qu'une notion a été le fil conducteur de la plupart des interventions et échanges : celle de " violences extrêmes ", que celle-ci ait été appréhendée dans le contexte du terrorisme, de la guerre civile ou de diverses formes de criminalité de masse (purification ethnique, génocides).

L'expérience de ces deux années nous a conduit à proposer la tenue d'un colloque portant précisément sur ce thème. Il se tiendra à Paris, dans le cadre de l'Association Française de Science Politique, les 29 et 30 novembre 2001. Deux axes de questionnement ont été retenus :

1. Que nomme-t-on "violences extrêmes" ?

Le premier objectif de ce colloque est d'interroger la validité conceptuelle de cette notion. Par "violences extrêmes", on ne désigne pas en général la violence d'un système politique, qui pourrait par exemple être qualifié de "totalitaire", dans les termes proposés par Hannah Arendt. La notion de "violences extrêmes" tend plutôt à nommer une forme d'action spécifique, un phénomène social particulier, qui paraissent se situer dans un "au delà de la violence". Le qualificatif "extrême", placé après le substantif, marque précisément l'outrance, et donc une radicalité sans bornes de la violence. Dès lors, la notion de "violences extrêmes" sous-entend-t-elle plutôt :

Mais à partir de quel seuil est-on enclin à parler d'une "violence extrême" ? Quel que soit le degré de sa démesure, celle-ci est pensée comme l'expression prototypique de la négation de toute humanité, ceux qui en sont victimes étant souvent "animalisés" ou "chosifiés" avant d'être anéantis. Par delà le jugement moral, il convient de s'interroger sur les circonstances politiques, économiques, culturelles, qui sont de nature à produire de telles conduites collectives.

En fait, la notion de "violences extrêmes" revient à ré-interroger les rapports rationalité/irrationalité de l'action politique. Depuis Clausewitz, la guerre a principalement été analysée comme une entreprise rationnellement engagée par l'État, pour atteindre un objectif politique précis. Mais, selon certains auteurs, les tendances contemporaines à la "barbarisation" des conflits remettent en cause cette conception classique de la guerre. Une telle évolution est perçue comme l'une des conséquences d'un monde post-bipolaire où s'entremêlent précisément barbares et bourgeois, où les allégeances traditionnelles des individus vis-à-vis d'États supposés agir rationnellement sont largement remises en cause.

Quoiqu'il en soit de ces analyses, faut-il considérer avec le sociologue Wolfgang Sofsky, que la violence extrême n'a d'autres buts qu'elle-même, parce qu'elle serait dépourvue de toute fonctionnalité stratégique ? Ou bien, peut-on repérer malgré tout un ou plusieurs "sens" à de telles pratiques, qui demeureraient, en dépit des apparences, porteuses de certaines formes de rationalité politique et économique ?

2. Un sujet comme un autre ?

Une seconde source d'interrogations concerne la position même du chercheur par rapport à un tel objet de recherche. La proximité de ce sujet avec la mort suscite des réactions très diverses qui peuvent aller d'une répulsion légitime à une fascination ambiguë. Il est difficile pour le chercheur de se mettre à distance et de faire preuve de "neutralité scientifique". Le thème des violences extrêmes pose le problème du rapport du chercheur aux valeurs. Peut-on séparer le jugement éthique et la démarche scientifique ? A cet égard, quels regards critiques peut-on poser, par exemple, sur les travaux de Max Weber ou de Carl Schmitt ?

En fait, ce que nous nommons aujourd'hui "violences extrêmes" désignerait des phénomènes qui, pour l'essentiel, auraient toujours été présents dans la guerre. Ne serait-ce pas alors notre regard de contemporains qui est à interroger en priorité ? N'a-t-on pas tendance ainsi à nommer "extrêmes" des conduites de violence qui hier n'auraient pas été qualifiées comme telles ? Serait-ce là une confirmation des thèses de Norbert Elias ?

Autrement dit, est définie comme "extrême" une violence qui semble inacceptable à notre modernité occidentale, par rapport à une conception universelle de "l'humanité". D'où encore cette interrogation sur les représentations culturelles et historiques de la violence, qui a été un questionnement permanent de notre séminaire.

En fin de compte, il faut s'interroger sur les capacités de la science politique à faire l'analyse de tels phénomènes. Notre discipline a fait de l'étude de la violence un de ses objets importants de recherche, ce qui s'est d'ailleurs reflété en France dans un des congrès de l'A.F.S.P. au début des années quatre-vingt dix. Or, dans quelle mesure les outils et concepts déjà utilisés pour analyser la violence politique en général, sont-ils suffisants pour appréhender les "violences extrêmes" en particulier ? Ne convient-il pas de bénéficier de l'apport d'autres disciplines, telles que l'anthropologie politique ou la psychiatrie sociale, pour faire l'interprétation de certains passages à l'acte monstrueux et penser les effets à long terme des traumatismes subis par les victimes ? Une approche pluridisciplinaire n'est-elle pas également nécessaire pour analyser les processus politiques qui font suite à des épisodes de massacres ? Telle a été l'intuition de ce séminaire, largement validée par nos discussions, que nous souhaiterions approfondir au cours de ce colloque.

Novembre 2000

Jacques Sémelin (CADIS/EHESS-CNRS),

Nathalie Duclos (Rennes II) et Isabelle Sommier (Paris I, CRPS

 

9h00

Ouverture du colloque par Jean LECA, Prèsident de l'AFSP

Introduction : Jacques Sémelin, CADIS/CNRSrésumé

I. Que nomme-t-on "violences extrêmes" ?

9h30—13h

Prèsidence du matin : Michel WIEVIORKA, CADIS/ERESS

John HORNE (Trinity College, Dublin), Populations civiles et violences de guerre : pistes pour une analyse historique

Jacques SEMELIN (CADIS/CNRS), Du génocide au crime de masse
résumé

Marc LEVENE (Southampton University), The Changing Face of Mass Murder
télécharger le texte

14h30—18h

Présidence de l'après-midi : Jean-Clément MARTIN, Paris IV

Claude GAUTIER (Université d'Amiens), La fanatisation comme processus. A partir de L'histoire de l'Angleterre de David Hume
résumé

Bernd WEISBROD (Göttingen Universität), Fundamentalist Violence : Political Violence and Political Religion in Modem Conflict
télécharger le texte

Raphaëlle BRANCHE (Université Champagne-Ardennes) et Françoise Sironi (Centre Georges Devereux), La torture aux frontières de l'humain ?

Isabelle SOMMIER (CRPS-Paris I), Du "terronsme" comme violence totale ?
résumé

II. Un sujet comme un autre ?

9h30—13h

Présidence de la matinée : Françoise HERITIER, Collège de France

Orner BARTOV (Brown University), Extreme Violence, Scholarship and Scholars

Véronique NAHOUM-GRAPPE (CETSAH/EHESS), Le récit de cruauté comme piège
résumé

Sandrine LEFRANC (Chargée de recherche CNRS — LASP), Enjeux et limites de la distanciation
… résumé

14h30—18h

Présidence de l'après-midi : Philippe BRAUD, IEP de Paris

Stéphane AUDOUIN-ROUZEAU (Université d'Amiens), Violences extrêmes de combat, relus de voir et faux problème du voyeurisme
résumé

Paul ZAWADZKI (CRPS-Paris I), Travailler sur des objets "détestables" : questions épistémologiques et morales

Béatrice POULIGNY (CERI/FNSP), L'éthique de responsabilité en pratique
télécharger le texte

 

Conclusion : Pierre HASSNER (CERJ/FNSP)