Colloque de l'AFSP

23-24 septembre 2004

Colloque organisé par Lucien JAUME, directeur de recherche au CNRS (CEVIPOF)

Avec le soutien de la Fondation nationale des Sciences Politiques, du ministère de la Recherche, du Centre de Recherches Politiques de Sciences Po (CEVIPOF) et du Centre d’Histoire du Vingtième Siècle (CHEVS)

Colloque organisé par l’Association Française de Science politique, sous la direction de Lucien Jaume

Avec le soutien de la Fondation nationale des Sciences Politiques, du ministère de la Recherche, du Centre de Recherches Politiques de Sciences Po (CEVIPOF) et du Centre d’Histoire du Vingtième Siècle (CHEVS)

Lieu : FNSP — 56 rue Jacob 75006 Paris France (Rdc - Salle de conférences)

»» Présentation du colloque, exposé de la thématique

I - Problématique générale et visées du colloque : une rencontre entre disciplines

Le moment paraît propice pour proposer en France, et dans le cadre d'accueil de la science politique, une rencontre sur l'histoire de la pensée politique considérée sous l'angle épistémologique ou méthodologique. Cette initiative prend acte de la richesse actuelle du débat international : on constate la recherche de nouvelles méthodes et de nouveaux objets dans des domaines aussi différents que l'histoire des concepts, l'histoire intellectuelle, l'histoire de la philosophie politique, ou encore la théorie juridique dans ses rapports avec l'histoire du droit. Les paradigmes qui étaient importants il y a une trentaine d'années (par exemple le contextualisme ou la Begriffsgechichte) sont maintenant discutés sur leur propre terrain et laissent apparaître des formulations concurrentes. La question de la dimension historique de la philosophie (philosophie en général ou philosophie politique), de sa spécificité ou de son intégration à l'histoire des idées, est de nouveau remise en chantier.

La démarche du colloque ne consiste pas à faire connaître les écoles actuellement existantes, ni même à reproduire les débats qui les traversent actuellement ; il existe en effet des travaux, et des rencontres (hors de France) qui ont répondu à cette finalité.

Le colloque visera avant tout à faire apparaître des problèmes de méthode, expérimentés et réfléchis par ceux-là même qui tentent de saisir la pensée politique dans une dimension historique ; il s'agit donc d'une réflexion sur des pratiques de recherche telles qu'elles existent, à la fois dans leur diversité et à l'intérieur de disciplines différentes. On ne peut cependant prétendre à l'exhaustivité, ce que signale l'intitulé du colloque, qui n'est pas " Les méthodes en histoire de la pensée politique ", mais, de façon moins ambitieuse , " Méthodes en histoire de la pensée politique ".

La question générale posée aux participants concerne le rapport entre la démarche adoptée et l'objet de l'étude. On peut formuler ainsi cette question, réfractée dans les quatre grands axes du colloque et dans un " atelier " spécifique consacré à Benjamin Constant : " Si vous êtes historien(ne) d'un univers de pensée - diffusé par la parole, l'écriture, l'image artistique, la pratique politique ou la vie d'une institution -, quel rapport établissez-vous entre votre objet d'étude et votre démarche ? ". Il est clair que dans cette réflexion sur " l'histoire se faisant ", les participants auront l'occasion de rendre perceptibles les écoles auxquelles ils se rattachent - si tel est le cas -, mais l'intérêt de la démarche est surtout de signaler des critères de distinction entre disciplines : ce que Roger Chartier a appelé " le régime de vérité " du savoir est certainement différent chez un historien de la philosophie, un historien des idées politiques, un historien du droit, etc. Le colloque pourra ainsi établir une comparaison et un dialogue entre des approches qui, dès lors qu'elles ne s'enferment pas dans leur domaine de recherche, accepteront de s'ouvrir à des perspectives de type méthodologique. En même temps, il est bon de se demander si quelque chose comme un " champ de l'histoire de la pensée politique " ne pourrait pas, à cette occasion, commencer à être balisé et reconnu. Le colloque ouvrirait la voie, dans ce cas, à d'autres travaux de coopération à l'échelle internationale.

Au lieu, donc, de partir d'une interdisciplinarité supposée comme existante, et qui serait en réalité artificielle, on se propose de construire un échange entre disciplines, sans se dissimuler les divergences ou, éventuellement les absences de comparaison possible ; il peut arriver que le choix de l'objet soit tel que la discipline soit particulièrement privilégiée, si l'on songe par exemple à la revendication de scientificité adressée par Michel Troper et son école, selon laquelle un usage " vrai " ou " correct " des concepts juridiques permet de statuer indépendamment de la conscience des acteurs historiques ; ou encore, l'objet déterminé peut résulter directement de la perspective adoptée, c'est-à-dire être un produit, une objectivation des présupposés de méthode : cas de l’" archéologie " chez Foucault.

L'un des gains de la comparaison serait de progresser sur le site et la nature même de ce que l'on appelle " pensée politique ", de vérifier, à l'occasion des recherches les plus récentes, qu'elle ne peut plus être limitée au domaine des " grands auteurs " ni à l'enchaînement supposé entre les " idées " : le colloque prendra acte de quelques types de matériaux et de questionnement qui permettent de saisir autrement la pensée politique.

 

II - Organisation du colloque

Le colloque se déploie sur quatre axes afin de détailler la question générale évoquée plus haut, sur les rapports entre la démarche et l’objet. Dans cette organisation, un aspect plus original est prévu : l'atelier consacré à Benjamin Constant, considéré non comme " grand auteur " et classique de la pensée politique, mais comme un terrain d’observation pour les problématiques et les disciplines du colloque, à l’intérieur d’une entreprise éditoriale de grande ampleur.

Premier axe - A quelle réalité l'historien de la pensée a-t-il affaire ?

Y a-t-il un objet préexistant qui serait " la pensée politique ", ou convient-il de découper ce dernier et selon quels critères, dans quels lieux ? On peut montrer qu’il existe des archives, des domaines institutionnels, des logiques aussi, où l’on trouve présentes, à l’état latent, des représentations et une pensée politiques, marquées par leur cadre historique. D’où l’apport de l’histoire culturelle, l’étude de la métaphore, la pratique du dictionnaire des concepts. Dans de prochaines rencontres, certains matériaux (artistiques par exemple) seront à étudier.

Deuxième axe - Les régimes de vérité du discours historique: fiction/vérité/validité

Outre la réalité de l'objet, la question est de savoir à quelle vérité prétend l'histoire de la pensée politique. La variation des " régimes de vérité " renvoie à des modes différents d'écriture, d'analyse ou d'herméneutique, d'administration de la preuve. On peut aussi soutenir, à l'intérieur des positions de scepticisme épistémologique, qu'il n'y a que des jeux de fiction (selon les thèses de Hayden White). On se demandera donc si l'histoire de la pensée a les moyens du plausible, du vérifiable ou de la validité interne. Si elle n'est pas astreinte au récit comme l’histoire " généraliste ", a-t-elle des recours (quantification, modélisation, argumentation) qui lui garantissent une " méthode " ?

Il est particulièrement important, dans ce questionnement, que les disciplines montrent leur différence d'investigation : investigation sur la " production de la loi " dans le fonctionnement parlementaire (historien du politique), sur l'attestation d'un courant républicain constitué (historien des idées politiques), sur l'histoire de la philosophie (par un philosophe), sur l'écriture littéraire (historienne de la littérature et de la pensée politique). On pourrait songer à d'autres ressources encore, mais là aussi il faut se restreindre.

Troisième axe - Les idées : avec les agents ? ou sans agents ?

L'histoire des idées a des rapports difficiles ou inexistants avec la sociologie des " savoirs " (au sens de M. Foucault), la sociologie des institutions, des religions ou de la science. Le concept de " paradigme " (Kuhn) ou celui d' " épistémè " (Foucault) ont été utilisés pour rendre compte de fortes discontinuités ou de substitutions de grands ensembles. Est-ce qu'il faut réintroduire, pour expliquer la novation, le point de vue d'agents historiques : individus, institutions, pratiques de minorités agissantes ? Faut-il, même, réhabiliter le sujet individuel ?

Les exemples étudiés, en sociologie du politique et en histoire de la civilisation, devraient permettre de préciser les rapports de l'individuel et du collectif dans la production et l'évolution de la pensée politique. Le cas de Michel Foucault sera valorisé car sa conception tournée contre le " sujet " mais favorable aux processus de " subjectivation " fait de nouveau l'objet de divers questionnements.

Quatrième axe - Le concept et la dimension temporelle

On admet généralement que les concepts politiques ont une origine et un développement historiques qui commandent la compréhension que l'on peut en avoir : la Begriffsgeschichte en a fait un de ses thèmes majeurs (R. Koselleck au premier chef). Pourtant, n'y a-t-il pas un certain paradoxe à qualifier d'historique ce qui prétend à la généralité, et, parfois, à l'universalité (comme c'est le cas dans la philosophie non relativiste) ? Cette question concerne le principe même du rapport au passé dans l'interprétation, dans l'assignation de ce que les historiens d'un courant appelleront une " tradition ". Dans le domaine du droit, et pour l'idée de " science du droit ", la question est également décisive.

On privilégie ici des problématiques juridiques car en ce domaine la réalité et les approches évoluent très vite : ainsi pour l’idée de souveraineté ou pour les méthodes en histoire constitutionnelle. Se pose également la question de la traduction des concepts, d'une forme de société à une autre étape historique : le concept de république est devenu un cas exemplaire.

L'atelier Benjamin Constant : auteur polyphonique, approches pluridisciplinaires

Situé à la fin de la première journée, cet atelier devrait être un carrefour des questions abordées, en se fondant sur l'entreprise actuelle d'édition, par une équipe internationale, des Œuvres complètes de Benjamin Constant (Max Niemeyer, Tübingen), qui comprendra autour de 60 volumes. On examinera les problèmes que pose la pensée politique d'un auteur qui ne cesse d'évoluer, tout en proclamant l'importance des principes permanents dans les régimes constitutionnels modernes ; qui écrit des manuscrits (comme les Principes de politique de 1806) dont la richesse déroutante appelle des règles d'édition que l'actuel Comité scientifique tente d'établir. Editer un auteur qui est à la fois journaliste, militant, diplomate occasionnel, électeur, député, écrivain, publiciste européen, voire rédacteur d'une Constitution (Cent-Jours), ou réformateur au Conseil d'État (1830), c'est s'interroger sur le libéralisme " se faisant " : en deçà du clivage entre la théorie et la pratique, l'approche fait entrevoir le caractère décisif des institutions quand on veut parler du libéralisme, mais aussi la complexité d'une histoire de la pensée qui intégrerait tous les aspects. Il faudrait donc définir, si possible, des outils appropriés, ne serait-ce que parce que les textes d'un même " auteur " présentent, dans ce cas, une pluralité de statuts distincts.

La démarche du colloque - partir non d'affirmations de méthodes a priori, mais d'expériences de recherche, pour s'élever à un dialogue sur les méthodes -, devrait trouver ici une illustration vigoureuse.

III - Récapitulation : visées de ce colloque

Etant donné l’ampleur du domaine et la diversité des approches selon les disciplines, il sera important de veiller à la convergence des travaux et à une bonne organisation du débat : le rôle des présidents de séance et des deux rapporteurs n’est pas de pure forme. La même préoccupation présidera à la publication des actes du colloque.

Par ce colloque on peut espérer remplir une double visée : rendre compte d’un renouvellement international des recherches dans lequel la France affirme ainsi une meilleure visibilité, commencer à baliser un champ de la pensée politique qui déborderait largement les frontières actuelles de l’histoire des idées, de l’histoire des doctrines et du commentaire des grands auteurs.

Contact :
Lucien JAUME
Directeur de recherche au CNRS
Professeur dans le DEA " Pensée politique " (Sciences Po)
Centre de recherches politiques de Sciences Po (CEVIPOF)
Lucien.jaume@sciences-po.fr
Tél : 01 45 49 51 88
Fax : 01 45 49 56 37 ou 01 42 22 0 7 64
10 rue de la Chaise
75007 PARIS FRANCE

 

»» Programme

Jeudi 23 septembre

9 h : Accueil par Yves Déloye (IEP de Paris), secrétaire général de l'AFSP

Ouverture du colloque : Gérard Grunberg, directeur-adjoint de Sciences Po, directeur scientifique de la FNSP

Introduction par Lucien Jaume : Les perspectives générales

Axe n° 1 : A quel objet l'historien de la pensée politique a-t-il affaire ? (10h-12h30)

Président : Jeremy JENNINGS (Professeur, Université de Birmingham, coéditeur de European Journal of Political Theory)

- La métaphore dans la représentation du pouvoir - Pietro COSTA, professeur d’histoire du droit à l’Université de Florence.

- Qu'est-ce qu'écrire un dictionnaire des concepts politiques en historien ? - Javier Fernández SEBASTIÁN, prof. d'Histoire de la pensée et des mouvements sociaux et politiques, Université de Bilbao.

- Pierre de Coubertin et l’invention de la neutralité politique du sport - Patrick CLASTRES, maître de conférences en histoire, IEP et CHEVS.

Axe n° 2 : Les régimes de vérité du discours historien (14h-16h)

Président : Marc SADOUN (professeur, directeur du programme "Histoire et théorie du politique" dans le master de Sciences Po)

- La loi et le parlementarisme : peut-on fédérer les approches historique, juridique et philosophique ? - Nicolas ROUSSELLIER, maître de conférence, IEP de Paris

- Théorie et pratique de l'histoire de la philosophie - Charles COUTEL, professeur, doyen de la Faculté de droit et de science politique Alexis de Tocqueville, Douai.

- La fiction littéraire comme accès au politique : voies d'interprétation. Françoise MÉLONIO, professeur, Université de Paris IV, directrice de l’UFR de lettres.

Pause des travaux : 16h-16h30

Atelier Benjamin Constant (16h30-18h30) :

Animation de l'atelier : Paul DELBOUILLE, prof. honoraire, Université de Liège, président du Comité directeur pour l'édition des Œuvres complètes de Benjamin Constant

- Le sens d'une entreprise : éditer tout Constant - Paul DELBOUILLE.

- Les problèmes du texte polyphonique : éditer, interpréter, commenter - Etienne HOFMANN, professeur à l'Université de Lausanne, Président de l'Institut Benjamin Constant, membre du Comité directeur des OCBC

- Comment embrasser la diversité d'un auteur/acteur/fondateur ? - Kurt KLOOCKE, professeur à l'Université de Tübingen, membre du Comité directeur des OCBC.

 

Vendredi 24 septembre

Axe n° 3 : Les idées, avec les agents ? ou sans les agents ? (9h30-12h30)

Président : Serge BERSTEIN (professeur honoraire, Sciences Po Paris)

- Mentalités, culture politique, idéologie - Marcel GAUCHET, directeur d’études à l’EHESS, Centre Raymond Aron.

- Quel traitement de la pensée politique peut donner la sociologie historique du politique ? Yves DÉLOYE, professeur, Institut d'Etudes Politiques de Strasbourg et Olivier IHL, professeur, Institut d’Etudes Politiques de Grenoble.

- Political thought and action in the rhetorical perspective - Kari PALONEN, professeur à l’Université de Jyväskylä (sujet provisoire).

- Pourquoi Foucault, qui ne parle pas en philosophe, parle-t-il aujourd'hui au philosophe ? Yves Charles ZARKA, directeur de recherche au CNRS, directeur du Centre de la philosophie moderne (CNRS, Villejuif).

Axe n° 4 : Le concept et la dimension temporelle (14h-17h)

Présidente : Marie-France RENOUX-ZAGAME (professeur d'histoire du droit, Université Paris I Panthéon-Sorbonne)

- Fin du concept de souveraineté ? — Jean-Pierre MACHELON, professeur, Université René Descartes Paris V, directeur d’études Ecole pratique des Hautes Etudes.

- Histoire constitutionnelle : quelques réflexions de méthode - Joaquin Varela SUANZES, professeur, Université d'Oviedo, directeur de Historia Constitucional.

- The concept of republic : true and misleading continuities - Janet COLEMAN, professeur, London School of Economics and Political Science.

- Historicité des concepts juridiques ? - Michel TROPER, professeur, Université Paris X Nanterrre

 

Conclusion générale (17h30-18h) :

Rapporteurs : François DOSSE (professeur des universités, IUFM de Créteil), Lucien JAUME (directeur de recherche au CNRS, CEVIPOF)

 

L'accès au colloque est ouvert, sans inscription préalable.
La publication des actes est à l'étude.